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Les poussières interplanétaires anhydres originaires des astéroïdes glacés ?

17/07/2015 - 15:15
Les poussières interplanétaires, plus communément appelées IDPs (Interplanetary Dust Particles), sont des grains extraterrestres micrométriques (taille de l’ordre de la dizaine de microns) qui sont récoltés par la NASA à l’aide d’avions stratosphériques  (~ 25 km d’altitude).  Leur origine astéroïdale ou cométaire a toujours été un sujet d’études.
Dans les dernières années nous avons mené un travail systématique d'analyse d'IDPs par micro-spectroscopie infrarouge grâce à une collaboration avec la ligne SMIS du synchrotron SOLEIL. Ces travaux éclaircissent, d’une part, la connexion entre astéroïdes/comètes et la matière collectée, et donnent d'autre part, des informations sur les liens entre la matière organique et les phases minérales, probablement issus de processus physico-chimiques dans la nébuleuse primitive.
   
 
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 Fig.1: Image d’une particule interplanétaire (IDP L2036 AG1) obtenue à Orsay au microscope électronique à balayage avec une tension de 15 kV (l’échelle indiquée est de 5 µm). Image extraite de [1]. 
 
L’analyse par micro-spectroscopie infrarouge d'IDPs présente deux avantages majeurs. En plus d’être  non-destructive (elle ne modifie pas les propriétés physico-chimiques des échantillons analysés), elle permet de comparer les résultats de laboratoire aux observations astronomiques effectuées dans les mêmes gammes de longueurs d’onde.
Dans notre étude sur les IDPs de type anhydres (Merouane et al. ApJ 2014), nous avons pu quantifier et définir la composition minérale d’une douzaine de poussières. Deux classes de différentes minéralogies sont observées : l’une riche en olivine et la seconde riche en pyroxène. L’analyse conjointe de la composante organique des poussières nous a permis de mettre en évidence un lien étroit entre la composition minérale des IDPs et les longueurs des chaînes aliphatiques associées. Cette étude combinant des analyses IR et Raman nous a alors permis de conclure sur un possible rôle catalytique joué par les silicates dans la formation et l’élongation des chaines aliphatiques dans la nébuleuse primitive. Cependant l’origine précise (astéroïdale ou cométaire) de ces poussières n’a pas été élucidée dans cette première étude.
 
 
                        
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Fig.2. Ces deux figures extraites de [1] donnent à gauche les spectres IR des douze particules étudiées et à droite le rapport CH2/CH3 en fonction de la composition minérale des particules. Les particules riches en olivine ont des rapports CH2/CH3 plus importants que les particules riches en pyroxène.
 
Une collaboration menée par P. Vernazza du LAM (Vernazza et al. 2015, ApJ) a permis ensuite de réaliser une étude comparative des spectres IR des IDPs obtenus à l’IAS avec ceux de différents astéroïdes primitifs (types B, C, P et D)  mais aussi avec ceux de comètes comme Halley et Hale-Bopp. Tous ces objets sont caractérisés par de très faibles albédos et sont riches en carbone et matière organique. Ils contiennent également des silicates et pour certains une composante glacée.
Cette étude montre une remarquable correspondance entre les spectres d’IDPs anhydres riches en pyroxène et ceux des astéroïdes de type BCG, qui représentent ~ 53 % en masse de la ceinture principale. Les astéroïdes de type P et D (représentant ~13 %  en masse de la ceinture principale) seraient, eux, mieux représentés par des IDPs anhydres mélangeant des olivines et des pyroxènes, tout comme les spectres des comètes de Halley et Hale-Bopp (H-B). 
 
 
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Fig.3. Cette figure extraite de [2] montre à gauche la comparaison de la bande à 10 µm d’IDPs riches en pyroxène avec celles de différents astéroïdes de type BCG (faible albédo, riches en carbone et matière organique ainsi que de silicates). A droite, les bandes à 10 µm de deux comètes et de 4 astéroïdes de type P et D requièrent un mélange d’olivine et de pyroxène pour un meilleur ajustement. 
 
Cette étude montre par ailleurs, que seules les poussières interplanétaires anhydres ont des propriétés spectrales compatibles avec celles des astéroïdes riches en glace. Ce constat remet en cause le statut de référence des météorites dans la connaissance de la ceinture d’astéroïdes, et cela au profit des poussières interplanétaires. Alors que les météorites permettent d’échantillonner la composition des surfaces de la plupart des astéroïdes rocheux métalliques et hydratés, les plus importants en proportion, les astéroïdes glacés, ne sont eux pas représentés par les différentes météorites présentes dans les laboratoires. La figure 4 ci-dessous illustre les corrélations entre différents petits corps du système solaire (astéroïdes et comètes) avec les météorites et les IDPs. 
 
 
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Fig.4: Extraite de [2], cette représentation en histogramme donne la correspondance entre différents petits corps du système solaire et les échantillons disponibles en laboratoires. Les météorites « sèches » (n’ayant pas subi d’altération aqueuse) seraient de bons représentants de la composition de surface des astéroïdes rocheux et métalliques. Les IDPs eux sont reliés aux astéroïdes glacés, certains desquels peuvent montrer une activité similaire à celle des comètes. 
 
Cette représentation des données montre que la fraction la plus importante de la matière accrétée par la Terre,  les poussières interplanétaires, est représentative de la fraction la plus importante des astéroïdes formant la ceinture principale que sont les astéroïdes glacés. D’autre part, elle conforte à nouveau l’idée d’une frontière de plus en plus ténue entre astéroïdes glacés et comètes.  
 
En conclusion, ces résultats montrent l’importance du couplage des données des analyses en laboratoire de la matière extraterrestre dite primitive, à des expériences de simulation pour tenter d’élucider l’évolution physique et chimique des surfaces d’astéroïdes glacés. Ces simulations sont effectuées grâce à l’expérience INGMAR (collaboration IAS-CSNSM, Orsay), en liaison avec l’approche expérimentale réalisée sur l’irradiation VUV de glaces (expérience MICMOC, IAS) menant à une chimie organique complexe qui peut avoir joué un rôle dans la chimie prébiotique à la surface de la Terre primitive.
 
 
 
 
Contacts :
 
Zahia Djouadi, zahia.djouadi (at) ias.u-psud.fr 
Sihane Merouane, merouane (at) mps.mpg.de
Louis d'Hendecourt, ldh (at) ias.u-psud.fr
Pierre Vernazza, pierre.vernazza (at) lam.fr
Rosario Brunetto, rosario.brunetto (at) ias.u-psud.fr   
 
Références:
[1] S. Merouane, Z. Djouadi et L. d’Hendecourt, ApJ, Volume 780, Issue 2, article id. 174, 12 pp. (2014)
[2] P. Vernazza et al., ApJ, Volume 806, Issue 2, article id. 204, 10 pp. (2015)
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