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Les pouponnières d’étoiles interagissent avec leur environnement au cœur des galaxies massives

29/11/2018 - 16:30

Les régions de formation d'étoiles les plus intenses de l'Univers jeune interagissent avec leur environnement par des échanges rapides de gaz. Cette découverte, réalisée par une équipe internationale incluant des astronomes de l’Institut d’astrophysique spatiale (Université Paris-Sud/CNRS) et d'autres laboratoires, approfondit la compréhension de la phase d'évolution rapide des galaxies massives, il y a environ 11 milliards d’années.

 

Cette étude est publiée dans deux articles de la revue Astronomy & Astrophysics du 30 novembre 2018.

 

Les galaxies les plus massives ont connu leur phase de croissance la plus rapide lorsque l’Univers avait environ 20% de son âge actuel. Les immenses quantités de poussière et de gaz ont alors donné lieu à de véritables feux d'artifice de formation d'étoiles, avec un taux de formation environ cent fois plus important que dans la Voie Lactée actuelle. Les étoiles se sont principalement formées au sein de régions gazeuses, compactes et très massives, et dont les interactions avec les galaxies hôtes restent peu explorées.
 

 

En utilisant les deux radiotélescopes de l'IRAM, l'interféromètre NOEMA situé dans les Alpes (France) et le télescope de 30m de Pico Veleta (Espagne), les chercheurs ont constaté que ces pouponnières d'étoiles ne sont pas isolées, mais échangent constamment du gaz avec le milieu interstellaire environnant. «C'est la première fois que nous détectons du gaz moléculaire éjecté d'une de ces pouponnières, et produisant un vent galactique pouvant évacuer la majorité du gaz de cette région en seulement quelques millions d'années» explique Raoul Cañameras, auteur principal de la nouvelle étude débutée dans le cadre de sa thèse à l'IAS et maintenant au DARK (Université de Copenhague). «Nous avons découvert ce vent dans une galaxie environ 3 milliards d'années après le Big Bang, récemment identifiée et surnommée ''l'Émeraude'', en détectant une faible composante spectrale supplémentaire sur une raie d'émission du monoxyde de carbone.» Le monoxyde de carbone est une molécule couramment utilisée pour localiser le gaz moléculaire (dans lequel la plupart des atomes sont sous forme de molécules).

 

De plus, un amas de galaxies est situé entre la Terre et l'Émeraude et il produit un effet de lentille gravitationnelle, qui agrandit l'image des galaxies lointaines. C'est ce phénomène qui a permis aux astronomes d'étudier la formation des étoiles dans l'Émeraude sur des échelles de quelques centaines d'années-lumière, habituellement accessibles uniquement pour les galaxies proches.

 

«Le gaz atteint des vitesses suffisamment élevées pour quitter cette région mais pas la galaxie elle-même, et va donc y rester piégé», ajoute Nicole Nesvadba de l'IAS. «Cela signifie que le vent peut limiter la croissance de la région de formation d'étoiles, mais pas de la galaxie dans son ensemble». De plus, si cette région éjecte plus rapidement son gaz qu'elle n'en accumule, elle pourra se dissoudre et libérer son contenu dans la galaxie hôte. Les zones denses de formation d'étoiles semblent donc être des structures transitoires qui évoluent rapidement au sein des galaxies.

 

Les scientifiques ont également étudié les propriétés physiques des nuages moléculaires dans l'Émeraude et d'autres galaxies similaires, en observant plusieurs raies d'émission du monoxyde de carbone avec le télescope de 30 m de l'IRAM. «Ces transitions nécessitent différentes énergies pour être excitées. Ainsi, en mesurant leur intensité relative, nous pouvons déterminer la densité et la température du gaz, ainsi que l'intensité du rayonnement produit par les jeunes étoiles récemment formées», commente Chentao Yang de l'ESO, co-auteur de cette étude.

 

De précédentes observations ont montré que, dans les galaxies à bouffée de formation d'étoiles proches de la Voie Lactée, le gaz atteint les densités et températures les plus extrêmes au sein des nurseries d'étoiles et est plus diffus dans les régions environnantes. Cependant, l'émission du gaz moléculaire entre les pouponnières d'étoiles est encore plus ténue, et donc très difficile à sonder dans les galaxies de l'Univers jeune.  En plus du gaz directement associé à la formation d'étoiles, les observations de l'IRAM ont révélé une deuxième composante moins dense et pouvant atteindre jusqu'à la moitié de la masse totale en gaz dans ces galaxies. Ses propriétés correspondent à des réservoirs de gaz répartis sur de grandes échelles et pouvant participer à la formation de nouvelles nurseries d'étoiles géantes.

 

Ces galaxies ont été découvertes grâce au relevé du satellite Planck de l'ESA dans le domaine submillimétrique. «Bien que Planck ait été principalement conçu pour étudier le rayonnement du fond diffus cosmologique, il s'est également révélé très utile pour identifier les galaxies les plus brillantes et les plus rares dans l’Univers jeune», déclare Hervé Dole de l'IAS, coordinateur de l'étude des sources extragalactiques au sein de la collaboration Planck. «L'utilisation combinée de Planck et de l'IRAM illustre à merveille le potentiel scientifique exceptionnel des observatoires terrestres et spatiaux européens pour approfondir notre compréhension de l'Univers», conclut Nicole Nesvadba, qui dirige la caractérisation de ces galaxies.

 

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Fig 1 : Vue d'ensemble de l'Émeraude, une galaxie abritant un vent de gaz moléculaire issu d’une région de formation stellaire intense (flèche bleue), et observée telle qu'elle était il y a 11 milliards d'années. Les encarts dans la figure montrent un zoom sur l'émission des étoiles (gauche), de la poussière (milieu) et du gaz moléculaire (droite) provenant de cette galaxie. L'image globale montre l'amas de galaxies situé entre l'observateur sur Terre et l'Emeraude, et jouant le rôle de lentille gravitationnelle. Cet amas agit comme une loupe cosmique sur les galaxies lointaines et permet d'étudier leurs propriétés en détail. © Raoul Cañameras

 

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Fig 2 : Intensité des raies d'émission du monoxyde de carbone détectées avec le télescope de 30 m de l'IRAM en fonction des niveaux d'énergie des raies, pour une galaxie à sursaut de formation d'étoiles dans l'Univers jeune. L'évolution des intensités indique que le gaz moléculaire présente plusieurs régimes au sein de cette galaxie, dont une composante plus chaude et compacte qui alimente directement la formation des nouvelles étoiles. © Raoul Cañameras

 

Contact à l'IAS : Nicole Nesvadba

 

Références :

  • R. Cañameras, N. P. H. Nesvadba, M. Limousin et al., “Planck's dusty GEMS. V. Molecular wind and clump stability in a strongly lensed star-forming galaxy at z = 2.2”; Astronomy and Astrophysics; DOI: https://doi.org/10.1051/0004-6361/201833679
  • R. Cañameras, C. Yang, N. P. H. Nesvadba, et al., “Planck's dusty GEMS. VI. Multi-J CO excitation and interstellar medium conditions in dusty starburst galaxies at z = 2-4”; Astronomy and Astrophysics; DOI: https://doi.org/10.1051/0004-6361/201833625

 

 

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