Les modes de gravité du Soleil révèlent une rotation rapide de son cœur thermonucléaire
Les données de l'instrument GOLF à bord de la sonde SOHO (ESA et NASA) ont permis de détecter pour la première fois les modes de gravité, des ondes sismiques porteuses des propriétés physiques des couches solaires les plus profondes. Ces ondes, détectées maintenant sans ambiguïté, ont permis de montrer que le cœur solaire tournait près de quatre fois plus rapidement sur lui-même que les couches intermédiaires et externes du Soleil.
Tout comme la sismologie révèle la structure interne de la Terre par la façon dont les ondes s'y propagent, les physiciens solaires utilisent l'héliosismologie pour sonder l'intérieur du Soleil, grâce aux ondes excitées par les mouvements convectifs dans notre étoile. Ces ondes sont notamment détectées par l'instrument GOLF (Global Oscillations at Low Frequencies) de la sonde SOHO (ESA et NASA, lancée en 1995). L'IAS assure la responsabilité scientifique et technique de GOLF.
Les ondes de pression (modes p), de haute fréquence, sont aisément détectables à la photosphère, la surface visible du Soleil, et ont ainsi permis depuis plus de 30 ans de révolutionner notre connaissance du Soleil interne, en contraignant très fortement la physique présente dans les modèles. C'est ainsi que l'héliosismologie a apporté une contribution essentielle à la découverte de l'oscillation des neutrinos, récompensée par le prix Nobel 2015.
Pourtant, malgré les succès de l'héliosismologie, la dynamique du cœur thermonucléaire du Soleil restait mal contrainte : les modes p circulent très rapidement dans cette zone et sont très peu sensibles à sa rotation. Or on sait qu'il existe également des modes d'oscillation de plus basse fréquence dont la force de rappel est la gravitation, qui y sont au contraire très sensibles. La signature de ces modes de gravité, ou modes g, est cependant très faible en surface et plus de 20 ans de recherche n'avaient pas permis de les détecter avec certitude sur le Soleil.
La signature des modes g a maintenant été trouvée par Éric Fossat (Observatoire de la Côte d'Azur) et ses collègues, non pas directement par leur signal en surface, mais dans la modulation d'un paramètre extrait des modes p : le temps de parcours (4h 7min) que mettent les ondes acoustiques à faire un aller-retour d'un diamètre solaire en passant par le centre. Les mesures de GOLF y donnent accès en continu depuis 20 ans avec une précision meilleure qu'une minute.
Le premier résultat issu de cette détection est la mesure du taux de rotation moyen du cœur thermonucléaire de notre étoile, qui était totalement inconnue : il tourne sur lui-même en une semaine (fréquence de 1644 ± 23 nHz) soit 3.8 fois plus vite que la rotation moyenne des couches extérieures et intermédiaires.
Cela apporte une nouvelle et forte contrainte à la modélisation de l'évolution stellaire et du transport du moment angulaire depuis les premiers stades de la formation du système solaire. De nouvelles questions se posent : peut-on mettre en évidence le cisaillement entre la rotation rapide du cœur et la rotation des couches supérieures? Est-ce que les modes g peuvent nous renseigner sur la composition chimique du cœur? Quelles sont les implications sur l'évolution stellaire et les processus thermonucléaires dans le cœur?
Au-delà de l'avancée qu'il représente pour la physique solaire et l'astrophysique, ce résultat est remarquable à plus d'un titre. D'une part, il a été rendu possible grâce à l'instrument GOLF toujours opérationnel et grâce à une collaboration internationale très large sur plusieurs décennies ; cela souligne l'importance d'assurer un environnement stable sur le long terme à la recherche fondamentale. D'autre part, GOLF est un instrument spatial de métrologie, qui, sans fournir d'images spectaculaires (parfois utilisées pour justifier la poursuite des programmes de recherche aux yeux du grand public), produit pourtant des données importantes pour de nombreuses questions fondamentales en physique solaire.
Communiqué de presse ESA : https://www.esa.int/Science_Exploration/Space_Science/Gravity_waves_detected_in_Sun_s_interior_reveal_rapidly_rotating_core
Article scientifique : E. Fossat, P. Boumier, T. Corbard, J. Provost, D. Salabert, F. X. Schmider, A. H. Gabriel, G. Grec, C. Renaud, J. M. Robillot, T. Roca-Cortés, S. Turck-Chièze, R. K. Ulrich et M. Lazrek (2017). Asymptotic g modes: Evidence for a rapid rotation of the solar core, Astronomy & Astrophysics, 604, A40. (arXiv:1708.00259)
Contact à l'IAS : Patrick Boumier
Fig 1 - Propagation des modes de pression et de gravité à l'intérieur du Soleil.
Fig 2
En haut : profil moyen de 76 modes g dipolaires, avec un pic central et deux composantes symétriques à ±210nHz dues à la rotation des couches profondes, vues depuis les couches profondes où résonnent les modes p qui servent de détecteur.
En bas : vitesse de rotation sidérale 1.28±0.01μHz associée aux modes g dipolaires et quadrupolaires détectés, correspondant à une période de rotation d'une semaine pour le cœur.