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Combien de temps faut-il pour altérer la surface d’un astéroïde glacé ?

30/07/2020 - 10:15

Les surfaces des petits corps glacés du système solaire externe sont altérées par l’irradiation des ions énergétiques solaires et cosmiques. Grâce à une étude expérimentale, des scientifiques de l’équipe « Astrochimie et Origines » de l’IAS et du Florida Space Institute (USA) ont pu estimer ces effets pour certains de ces objets riches en méthanol.

 

Arrokoth, un petit corps glacé de la ceinture de Kuiper, a été découvert en 2014 grâce au télescope spatial Hubble. Il a été choisi par l'équipe New Horizons (NASA) comme cible de sa mission prolongée dans le système solaire externe, après le survol de Pluton. Arrokoth est ainsi devenu l'objet le plus lointain jamais étudié par une sonde spatiale. Depuis une altitude de 3500 km, les instruments à bord de la sonde ont acquis des images et des spectres qui ont notamment mis en évidence la présence de glace de méthanol. Ce composé a précédemment été détecté sur d'autres objets du système solaire externe, tels que le centaure 5145 Pholus et l'objet transneptunien (55638) 2002 VE95.

 

Ces objets ont une autre caractéristique commune : leur surface est rouge ! Ce « rougissement » de surface peut s'expliquer par la présence de matière organique semi-réfractaire mélangée aux glaces. Cette matière organique est alors soit héritée telle quelle du nuage pré-solaire ou du disque protoplanétaire, soit produite à la surface de l’objet à la suite de sa longue exposition aux rayons cosmiques et/ou aux particules énergétiques solaires (SEP, pour Solar Energetic Particles).

 

Pour y voir plus clair, l’équipe de l’IAS s’est appuyée sur l'installation INGMAR-T (IAS/CSNSM) couplée à l’accélérateur d'ions SIDONIE (CSNSM) pour reproduire expérimentalement les conditions d'irradiation de la surface d'Arrokoth et d'autres objets riches en glace de méthanol (Fig. 1). L’analyse des spectres infrarouges expérimentaux post-irradiations et leur comparaison aux observations astronomiques et spatiales ont permis d’estimer le temps d’exposition à l’irradiation ionique de ces surfaces riches en méthanol, selon l’orbite où elles se situent.

 

Tout d’abord, l’examen des spectres infrarouges indique que la surface de Pholus manifeste des signes clairs d’exposition aux particules énergétiques (Fig. 2), contrairement à la surface d’Arrokoth. L'étude révèle ensuite, que parmi les différentes populations de particules énergétiques présentes dans l'espace, les SEP sont les principales responsables de l'altération de la surface de ces corps glacés et, en conséquence, de leur « rougeoiement ». Ces particules sont émises par les régions actives solaires et par les éruptions solaires (appelées « flares »). Étant donné que l’effet des SEP diminue avec la distance héliocentrique, Arrokoth, qui est à une distance plus éloignée du Soleil que Pholus, est moins affecté par les SEP que ce dernier. Cela signifie que pour observer des modifications de surface similaires, environ 6 millions d’années sont nécessaires sur Pholus et environ 30 millions d’années sur Arrokoth.

 

Les futures observations astronomiques du James Webb Space Telescope permettront d’obtenir plus de détails sur ces objets. Les résultats obtenus à l’IAS seront alors utiles pour l’interprétation des nouvelles observations et pour déterminer la composition chimique et l’évolution des objets du système solaire externe.

 

Contact à l’IAS : Riccardo Giovanni Urso

 

Article scientifique : Urso, R. G., Baklouti, D., Djouadi, Z., Pinilla-Alonso, N. & Brunetto, R., 2020. Near-infrared Methanol Bands Probe Energetic Processing of Icy Outer Solar System Objects. ApJ Letters, 894, 1, L3, https://doi.org/10.3847/2041-8213/ab8ad9

 

Figure1_fr_astrochimie_30juill2020.jpg

Fig. 1 : à gauche, méthanol à la surface du KBO 486958 Arrokoth, adapté de NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute/Roman Tkachenko, Public domain ; à droite : une représentation schématique de l'expérience menée à l'IAS pour simuler l'irradiation de la surface d’Arrokoth.

 

Figure2_fr_astrochimie_30juill2020.jpg

Fig. 2: à gauche, le spectre proche infrarouge de Pholus comparé au spectre de laboratoire du méthanol exposé aux ions énergétiques. La dose dépend du temps d’exposition aux ions énergétiques ; à droite, le rapport entre les aires des bandes infrarouges du méthanol est le paramètre spectroscopique choisi pour étudier l’altération des surfaces d’Arrokoth et de Pholus.

 

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