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Une voie de formation prébiotique du ribose : la « réaction de formose » naturelle en laboratoire.

11/04/2016 - 10:15

L’expérience MICMOC, démarrée en 2003 à l’IAS et destinée à tenter de coupler astrochimie et astrobiologie, vient de déboucher sur un résultat majeur et surprenant : la formation prébiotique de la molécule de ribose, une molécule clef dans la composition de l’ARN considéré comme le premier matériel génétique connu chez tous les êtres vivants. 

 

 

La chimie prébiotique a ceci de particulier qu’à l’inverse de la chimie de synthèse réalisée par un chimiste, elle doit se dérouler de manière non-dirigée, par voie de simulations qui prennent en considération des conditions initiales plausibles à la formation et à l’évolution de molécules prébiotiques. Depuis une dizaine d’années, l’expérience MICMOC (Figure 1) de l’équipe « Astrochimie et Origines » de l’IAS, en étroite collaboration avec des chimistes analytiques de l’Institut de Chimie de Nice, étudie la photochimie et la thermochimie de glaces en laboratoire, analogues des glaces interstellaires et cométaires, dont la composition est assez bien connue par les observations astronomiques. De nombreuses molécules prébiotiques telles que des acides aminés ont été mis en évidence dans les résidus organiques issus de ces glaces.

 

Tout récemment, l’obtention de deux molécules, le glycolaldéhyde (2 atomes de carbone), un précurseur des sucres et surtout du glycéraldéhyde (3 atomes de carbone), le premier sucre de la famille des oses, a permis de mieux cerner le potentiel prébiotique des simulations conduites à l’IAS. En effet, la présence dans une même simulation de précurseurs de protéines (les acteurs du métabolisme) et de deux sucres impliqués dans la formation du ribose (précurseur du matériel génétique originel) questionne sur l’impact de ces matériaux sur la chimie prébiotique à la surface d’une planète tellurique telle que la Terre dans son époque primitive.

 

Un nouveau pas, plus significatif, vient maintenant d’être franchi, toujours en suivant le même protocole expérimental de simulation de glaces interstellaires : la détection de ribose (Figure 2), molécule utilisée dans le squelette de l’ARN, ainsi que de toute une famille de sucres de structure comparable, vient d’être réalisée à l’Institut de Chimie Nice en utilisant la technique très sensible et séparative de la chromatographie en phase gazeuse bidimensionnelle, couplée à la spectrométrie de masse à temps de vol. Les échantillons, produits à l’IAS par l’expérience MICMOC (Figure 3) et tenant compte d’une approche liée à l’astrophysique de laboratoire, ont été soigneusement conservés sous atmosphère d’argon et envoyés à Nice pour analyse.

 

Il s’agit là de la première synthèse réellement prébiotique du ribose, étant entendu que cette molécule a été recherchée par défaut et non synthétisée par le chimiste. Comme dans l’expérience de Stanley Miller (1953), l’expérimentateur n’a élaboré qu’un protocole opérationnel plausible et la synthèse moléculaire a suivi une voie totalement naturelle, donc, par définition, prébiotique. Mais la grande originalité de ce résultat va bien au-delà de la production de ribose. En effet, la diversité des sucres observés dans l’analyse et leur abondance extrêmement importante (en valeur absolue) suggèrent la présence d’une réaction chimique insolite qui survient de manière non dirigée et donc naturelle, la réaction dite « de formose ». Cette réaction, décrite en 1861 par le chimiste russe Alexandre Boutlerov, est bien connue des chimistes prébiotiques, qui ont toujours recherché, sans succès, une telle voie de synthèse naturelle des sucres. En effet, cette réaction nécessite une préparation soignée et, dans la voie suivie par Boutlerov, l’usage d’un catalyseur basique fortement concentré, une voie de réaction injustifiable sur un plan prébiotique. La réaction de formose observée dans l’évolution de ces glaces en laboratoire est, elle, due à la polymérisation par réaction en chaîne du formaldéhyde libéré dans la sublimation des glaces lors du réchauffement progressif de l’échantillon, utilisant le glycolaldéhyde et le glycéraldéhyde pour produire, par une réaction autocatalytique, une cascade de produits, dont le ribose. Pas de catalyseur basique dans cette réaction, celui-ci étant possiblement remplacé par la présence d’électrons solvatés dans la glace irradiée et mobiles lors de la sublimation de celle-ci. La réaction observée diffère aussi de la réaction de Boutlerov en ce que, contrairement à celle-ci, elle produit beaucoup de ribose, une molécule très peu présente dans la réaction originale.

 

Finalement, la présence d’aldopentoses tels que l’arabinose,  le thréose et le lyxose, mais aussi la présence de glycéraldéhyde, montre bien les nombreuses possibilités qui s’offrent à la chimie prébiotique avant (ou parallèlement à) la synthèse de l’ARN, qui serait le précurseur du matériel génétique dans l’hypothèse du « monde à ARN », formulée il y a 30 ans par Walter Gilbert. Ces sucres pourraient être à l’origine de nombreux acides nucléiques autres que l’ARN, le seul utilisé par la vie actuelle pour des raisons qui restent à élucider.

La  mise en évidence d’une réaction autocatalytique naturelle menant à la production de ribose peut être considérée comme une avancée importante en chimie prébiotique, obtenue dans des conditions physico-chimiques compatibles avec celles connues dans les comètes par exemple. Elle propose un élément de réponse en ce qui concerne l’apport exogène de matériaux prébiotiques à la surface de la Terre primitive.  Il reste maintenant à comprendre les voies de l’évolution chimique en environnement planétaire qui ont mené à l’ARN que nous connaissons dans tous les systèmes vivants actuels.

 

fig1_micmoc.jpg

 

Figure 1 : vue de l’ensemble de l’expérience MICMOC menée à l’IAS. Le cryostat (pièce verticale au centre) permet de déposer sur une fenêtre refroidie à l’azote liquide, un mélange gazeux qui va former une couche de glaces. Une lampe à plasma produit une puissante lumière ultraviolette qui permet d’activer des réactions chimiques dans ces glaces. Le réchauffement de la glace en fin d’expérience mène à un résidu organique qui sera extrait, conservé et analysé à l’Institut de Chimie à Nice.

 

fig2_ribose.png

 

Figure 2 : Représentation schématique du D-ribose, molécule chirale qui se présente sous deux énantiomères, droits (D) et gauche (L).

La synthèse actuelle dans MICMOC conduit  à un mélange racémique des deux énantiomères (D=L).

 

 fig3_residus.jpg

 

Figure 3 : Résidus organiques produits par l’expérience MICMOC et vus à travers un microscope visible.

L’image représente environ 3x3 mm (© P.Modica).

 

Référence :

C. Meinert, I. Myrgorodska, P. de Marcellus, T. Buhse, L. Nahon, S. Hoffmann, L. Le Sergeant d'Hendecourt, U.J. Meierhenrich, "Ribose and related sugars from ultraviolet irradiation of interstellar ice analogs", Science, 352, 208-212 (2016)

Contact IAS:

Louis Le Sergeant d'Hendecourt, ldh @ ias.u-psud.fr, 0613162538

Pierre de Marcellus, pierre.demarcellus @ ias.u-psud.fr

Communiqués de presse :

CNRS: http://www.cnrs.fr/espace-presse

INSU:  http://www.insu.cnrs.fr/node/5759

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