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Une simulation expérimentale de l’éjection d’espèces carbonées par les grains interstellaires soumis au rayonnement cosmique

28/03/2017 - 16:30
Une équipe multidisciplinaire impliquant des chercheurs de l'IAS, de l’IPNO, de l’ISMO et du CSNSM à Orsay et de GSI à Darmstadt (Allemagne) a caractérisé en laboratoire les effets des rayons cosmiques lourds sur le changement structurel et la pulvérisation de petites espèces carbonées libérées lorsque les rayons cosmiques, simulés et accélérés à l'accélérateur GSI, impactent un analogue de grain de poussière interstellaire carboné. Les mesures effectuées lors de telles simulations permettent de connaître les processus induits par les radiations observées dans l'espace et leur importance relative. L'objectif de ces études est de fournir des données sur l'évolution de la matière  interstellaire, de comprendre son évolution et de fournir des contraintes aux modélisateurs des environnements astrophysiques.
 
Les grains de poussière interstellaires sont immergées dans un environnement radiatif comprenant le rayonnement ultraviolet de haute énergie et les rayons cosmiques (particules à haute énergie) influençant leur composition physico-chimique. Suite aux interactions ionisantes induites, les particules de poussières carbonées présentes dans le milieu interstellaire libèrent des fragments qui ont un impact direct sur l’évolution de la chimie en phase gazeuse.
 
L'exposition de la poussière interstellaire carbonée aux rayons cosmiques est simulée en laboratoire par l'irradiation de films d'analogues interstellaires de carbone amorphe hydrogéné avec des ions énergétiques. De nouvelles espèces formées et libérées dans la phase gazeuse sont explorées.
 
Lors de ces simulations expérimentales, des films minces de carbone amorphe hydrogéné (appelés aC:H), analogues astrophysiques aux poussières donnant lieu à une signature spectroscopique généralement observée à 3,4 μm dans le milieu interstellaire diffus des galaxies, ont été irradiés avec des ions or (950 MeV), xénon (630 MeV) et carbone (43 MeV) à l'accélérateur GSI UNILAC (voir Fig. 1 pour une vue de la configuration expérimentale). L'évolution des analogues de poussière a été suivie in situ en fonction de la fluence (nombre total d’ions incidents par unité de surface) à 40, 100 et 300 K, les poussières interstellaires pouvant être très froides.
 
 
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Fig 1: Vue de la configuration expérimentale utilisée pour étudier l'irradiation des analogues de poussière interstellaire à GSI. La branche M est équipée d'un spectromètre infrarouge à transformée de Fourier (FTIR), d'un spectromètre de masse (QMS) et d'une chambre échantillon cryogénique sous un vide poussé, qui est couplée à l’accélérateur UNILAC de GSI délivrant des faisceaux d'ions lourds rapides. 
 
 
Les effets sur la phase solide sont étudiés par spectroscopie infrarouge complétée par l'enregistrement simultané des spectres de masse des espèces libérées dans la phase gazeuse. Les espèces spécifiques produites et libérées sous le faisceau ionique sont analysées. Le principal produit de radiolyse est l’hydrogène moléculaire H2, participant à la déshydrogénation du grain carboné (a-C:H) dans un contexte astrophysique. Ces irradiations montrent également que la production de nombreux petits hydrocarbures (CxHy; x = {1, 4}) est efficace avec des ions lourds rapides (voir Fig. 2), et augmente au cours de la production de H2 avec l'énergie déposée.
 
Les sections efficaces déduites des expériences d'interaction avec des ions lourds rapides ont été mises en œuvre dans un modèle astrophysique montrant que l'effet des irradiations par les rayons cosmiques est important dans les régions intermédiaires à denses où la composante de haute énergie des rayons cosmiques pénètre beaucoup plus profondément que les ultraviolets externes, et atteint en profondeur un équilibre avec le champ ultraviolet secondaire produit par l'interaction des rayons cosmiques avec H2 (voir figure 3).
 
La production de ces espèces carbonées par ce processus dit descendant (destruction des grains) contribuera à éroder les grains de poussière d’a-C:H. L'étendue de ce processus dépendra de la teneur en hydrogène initiale des grains de poussière interstellaire. Si la teneur en hydrogène est élevée, intrinsèquement ou par hydrogénation par interaction avec l'hydrogène gazeux ambiant, la production de petites espèces carbonées volatiles est efficace et conduit à la destruction complète («volatilisation») des grains tandis que les espèces libérées enrichissent la chimie en phase gazeuse. On s'attend à ce que cette efficacité diminue si la teneur en hydrogène devient beaucoup plus faible et que les grains finissent par éventuellement  par évoluer vers une structure polyaromatique. Les espèces libérées lors des expériences simulant les ions des rayons cosmiques sur des analogues interstellaires moins hydrogénés, plus polyaromatiques, seront étudiées lors d'expériences dédiées à venir.
 
 
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Fig 2: Signal du spectromètre de masse intégré sur le temps d’irradiation pour un échantillon analogue interstellaire a-C:H irradié avec l’ion 132Xe21+ (barres oranges) à 300 K. Le meilleur modèle de la somme des espèces qui contribuent au signal sont représentés en bleu. Les boites au dessus marquent les régions correspondant aux différents groupes d’espèces gazeuses carbonées mesurées, et les positions où les gaz contaminants résiduels de la chambre à vide pourraient contribuer sont indiqués.
 
 
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Fig 3: Temps caractéristique de destruction des liaisons carbone-hydrogène d’un grain interstellaire, associée à l'irradiation des rayons cosmiques galactiques en fonction de différentes hypothèses sur le spectre des ions à faible énergie de ces rayons cosmiques (par un paramètre E0). La zone colorée indique l’incertitude de mesure rapportée aux sections efficace mesurées. Le taux d'ionisation correspondant calculé est indiqué sur l'axe opposé. Les taux d'ionisation interstellaire observés pour les nuages denses et les valeurs moyennes pour les nuages diffus sont indiqués en pointillés.
 
 
Contacts:
Emmanuel Dartois, IAS, emmanuel.dartois@ias.u-psud.fr
Marin Chabot, IPNO, chabot@ipno.in2p3.fr
 
Référence: 
E. Dartois, M. Chabot, T. Pino, K. Béroff, M. Godard, D. Severin, M. Bender, and C. Trautmann. (2017). Swift heavy ion irradiation of interstellar dust analogues Small carbonaceous species released by cosmic rays. Astron. Astrophys., 599, A130, DOI: 10.1051/0004-6361/201629646
 
Note: Les résultats ont été obtenus sur l'installation expérimentale de la branche M au centre GSI Helmholtzzentrum für Schwerionenforschung, à Darmstadt, en Allemagne. Les analogues de grains interstellaires ont été produits sur l'expérience SICAL-P à l’IAS, Orsay. Ce travail a été soutenu par l’IPNO, l'INSU, l'INP, le CNRS et l'Université Paris-Sud, avec un soutien financier supplémentaire du programme national PCMI.
 
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