Embargo
jusqu’au 15 Août 2004
Spitzer découvre des
galaxies lointaines
Les astronomes détectent avec surprise beaucoup de
galaxies infrarouges à des distances comprises entre 8 et 12 milliards d'années-lumière
Le télescope
spatial Spitzer, le récent observatoire de la NASA observant dans l'infrarouge,
a fait une avancée spectaculaire en détectant des galaxies lointaines et de
nature variée, des galaxies primordiales avec violente formation d'étoiles aux
galaxies hôtes de trous noirs massifs. Des astronomes français, espagnols et
britanniques ont épaulé leurs collègues cosmologistes américains pour analyser
les propriétés incroyables de ces galaxies cachées.
En pointant
les deux caméras de Spitzer (IRAC et MIPS) dans des régions du ciel où la Voie Lactée
ne les éblouit pas, les astronomes ont observé des galaxies infrarouges très
faibles et distantes, la plupart d'entre elles n'ayant jamais été détectées
auparavant.
Hervé Dole (Maître
de Conférences à l'Institut d'Astrophysique Spatiale, Université Paris Sud,
Orsay, et Université d'Arizona) qui a dirigé l'équipe, indique: « Les premières
observations conjointes de MIPS et IRAC à vocation cosmologique ont été conçues
pour tester finement la sensibilité des instruments. A vrai dire, elles sont
devenues une très grande réussite technologique, opérationnelle et
scientifique, dépassant largement tous nos espoirs ! Ces premiers résultats démontrent
les incroyables possibilités de Spitzer pour étudier l'évolution des galaxies à
grand redshift. » Les travaux sont publiés en Septembre 2004 dans un numéro
spécial de la revue scientifique « the Astrophysical Journal
Supplement ».
Comparé aux télescopes
précédents, Spitzer a une vision beaucoup plus fine avec une meilleure sensibilité
pour les sources faibles. Ainsi, Spitzer détecte des galaxies individuelles
alors que ses prédécesseurs ne voyaient essentiellement qu'un fond diffus. Ce
fond diffus est en fait le fond extragalactique infrarouge, et correspond à l'émission
intégrée des galaxies tout au long de l'histoire de l'Univers: il est l'émission
relique de la formation et de l'évolution des galaxies. Deux des principaux
buts scientifiques de Spitzer consistent à détecter et caractériser les
galaxies contribuant à ce fond et à en comprendre la formation stellaire au
cours de l'histoire de l'Univers.
Les
observations présentées ici ne sont en fait que le début d'un large programme
d'étude des galaxies lointaines, mais elles montrent déjà que Spitzer peut détecter
des galaxies formant beaucoup d'étoiles sur environ 90% de l'histoire de
l'Univers (jusqu'à environ 12 milliards d'années-lumière). De plus, l'équipe
montre que le fond diffus extragalactique infrarouge est résolu jusqu'à des
niveaux jamais atteints. « Nous
voyons maintenant clairement des galaxies individuelles plutôt qu'un fond;
quand on somme leurs émissions, on se rend compte que cela correspond à
l'essentiel de la lumière jamais émise par les galaxies au cours de l'histoire
de l'Univers. Cela veut dire que non seulement nous détectons l'essentiel de la
formation stellaire dans l'Univers, mais aussi que nous détectons probablement des
galaxies encore plus jeunes et primordiales » se réjouit Hervé Dole.
« Un autre aspect intéressant est qu'il y a tellement de galaxies faibles
sur ces images incroyables, que l'on butte très rapidement sur la limite où le
ciel en est empli ! »
Cette forte densité
de galaxies très faibles n'était quasiment pas prédite par les modèles avant le
lancement de Spitzer. Que sont-elles ?
Pourquoi les modèles se sont trompés ? Guilaine Lagache (Astronome à
l'Institut d'Astrophysique Spatiale, Université Paris Sud, Orsay) dit: « Les
modèles pré-Spitzer étaient en partie basés sur des hypothèses concernant les
galaxies à grand redshift, parce qu'on ne les avait jamais détectées alors. Les
nouvelles observations très profondes de Spitzer montrent que ces hypothèses étaient
inexactes. A la lumière de ces nouveaux résultats, nous avons mis à jour notre modèle,
et nous ajustons enfin tous les résultats de Spitzer, mais aussi, et c'est
remarquable, tous les anciens résultats d'autres missions infrarouges ! Nous
montrons que la formation stellaire était plus importante que prévu aux
redshifts plus élevés, mais aussi pour la première fois que certaines espèces moléculaires
sont présentes dans les galaxies sur des échelles de temps
cosmologiques. » Hervé Dole conclut « Avec les nouvelles contraintes
de Spitzer et ce nouveau modèle, nous pensons que la plupart des ces galaxies
faibles se situent à environ 11 milliards d'années-lumière, soit un redshift
d’environ 2. »
Pour
confirmer cette interprétation et caractériser les galaxies observées, les
astronomes ont crée une imposante base de données de toutes les observations
existantes à plusieurs longueurs d'ondes, une sorte d'observatoire virtuel en somme. Pablo Pérez-González (chercheur à l'Université
d'Arizona) explique: « Nous avons travaillé des mois pour rassembler les
images de centaines de milliers de galaxies prises par des télescopes répartis
sur toute la planète et dans l'espace (comme Chandra, XMM, Hubble, ISO). Pour
chacune de ces galaxies, nous savons son intensité dans quasiment tous les
domaines du spectre électromagnétique, les rayons X, l'ultraviolet, le visible,
le proche infrarouge, l'infrarouge lointain et la radio. Cette grande base de données,
sans précédent à ce jour, va nous permettre d'étudier comment se forment les
galaxies, comment se déroule la formation d'étoile, et de savoir si elles abritent
de grandes quantités de gaz et de poussières ou plutôt un trou noir massif en
leur centre. »
A partir des
données Spitzer et à d'autres longueurs d'onde, les astronomes peuvent donner
une première estimation de la distance de ces nouvelles galaxies. Emeric Le
Floc'h (chercheur à l'Université d'Arizona) explique: « Notre technique
utilise toutes les images de notre base de données. Elle combine de manière
optimale toute l'information visible et proche infrarouge pour déterminer
instantanément la distance de toutes les galaxies de nos catalogues. Cette approche
s'avère particulièrement puissante dans la mesure où il ne nous a pas été nécessaire
d'obtenir du temps supplémentaire sur d'autres télescopes au sol pour étudier
ces sources individuellement. » Cette
technique confirme qualitativement les prédictions du nouveau modèle, et montre
qu'une grande partie des galaxies Spitzer se situe effectivement à de grands
redshifts (z~2). C'est la première fois que des galaxies lointaines sont détectées
aussi facilement et en aussi grand nombre dans l'infrarouge. Les astronomes
sont excités de pouvoir enfin étudier ces galaxies, traditionnellement si difficiles
à détecter.
En plus de
la distance, Emeric Le Floc'h a pu déterminer quelques propriétés de ces
galaxies: « La plupart des galaxies de nos relevés profonds sont intrinsèquement
très lumineuses, et sont l'objet de formation stellaire violente; la production
d'étoiles peut atteindre plusieurs centaines de fois celle de notre propre Voie
Lactée ! »
Spitzer ne détecte
pas seulement des galaxies à sursaut de formation d'étoile. « Nous pensons
que certaines galaxies révélées par Spitzer ne tirent pas leur énergie
seulement de la formation d'étoile, mais aussi de l'activité d'un trou noir super
massif (de masse de plusieurs milliards de fois celle de notre Soleil !) en
leur centre, et qui accrète de grandes quantités de gaz attiré des régions
externes par instabilité gravitationnelle. Pour détecter leur présence, nous
avons comparé nos images Spitzer aux images dans les rayons X, et nous estimons
qu'environ un cinquième des galaxies entrent dans cette catégorie des galaxies
à noyau actif » conclut Emeric Le Floc'h.
Spitzer
apporte d'autres surprises. En seulement une douzaine de minutes d'observation,
Spitzer a pu détecter quelques-uns des objets les plus distants et primordiaux
de l'Univers. Ces objets sont trop lointains ou contiennent trop de poussière
pour être détectés même par le télescope spatial Hubble. Seules des
observations à grande longueur d'onde depuis Hawaii (avec la caméra SCUBA au
JCMT), l'Espagne (avec la caméra MAMBO à l'IRAM) et au Nouveau-Mexique (avec l'interféromètre
radio VLA) ont permis de les détecter jusqu'alors. Mais à cause de la résolution,
ces données ne permettent pas à elles seules d'identifier avec précision ces
galaxies primordiales. Les astronomes ont donc déployé des efforts gigantesques
pour observer ces galaxies SCUBA/MAMBO/VLA sur d'autres télescopes. Rob Ivison
(chercheur au Royal Observatory Edinburgh) dit: « En quelques minutes,
Spitzer a réussi à identifier ces galaxies que nous avons chassé pendant 7 ans ! »
Stephen Serjeant (chercheur à l'University of Kent) ajoute: « Les images
Spitzer ont identifié ces galaxies de manière incroyablement rapide, alors que
la communauté a déployé d'importants efforts juste pour les détecter. C'est vraiment
un travail de pionnier. »
Certaines de
ces galaxies se situent à des redshifts de 2 (correspondant à une distance de
11 milliards d'années-lumière), avec un cas extrême à redshift de 3.7 (environ
12 milliards d'années-lumière), mais toutes sont parmi les plus lointaines galaxies
jamais détectées. Hervé Dole ajoute: « Nous pouvons enfin estimer précisément
le taux de formation stellaire de ces systèmes très lumineux et lointains. »
George Rieke
(Professeur à l'Université d'Arizona et principal investigateur de l'instrument
MIPS sur Spitzer), se réjouit, « Apres des décennies de travail impliquant
des milliers de personnes, c’est très gratifiant de voir Spitzer si bien
fonctionner et de participer aux découvertes, et aux joies qui en découlent,
qu’il nous apporte pour mieux comprendre l’Univers. Les résultats discutés ici révèlent
de nouveaux aspects sur la manière dont les galaxies les plus massives se sont
formées, pour finalement façonner notre environnement actuel. »
Hervé Dole conclut:
« Spitzer a déjà atteint son premier but avec autant de résultats
novateurs et originaux, comme la découverte d'une grande densité de galaxies ou
la détection de galaxies à grand redshift, et cela quelques mois seulement après
son lancement. Je n'ai aucun doute que
les observations en cours, plus profondes mais aussi sur de plus grandes
surfaces, vont aboutir à beaucoup d'autres résultats excitants, qui apporteront
certainement des éléments de réponse à la question intrigante de l'origine des
galaxies, c'est à dire de leur formation et de leur évolution. »
Publications
Les
observations et les résultats sont publiés en Septembre 2004 dans la revue
"the Astrophysical Journal Supplement" dans un numéro spécial consacré
aux premiers résultats de Spitzer:
-
Alonso-Herrero et al., The Nature of Luminous X-Ray Sources with Mid-Infrared
Counterparts
- Dole et al., Far Infrared Source Counts at 70 and 160 microns in
Spitzer Deep Surveys
- Dole et al., Confusion of Extragalactic Sources in the Mid- and
Far-Infrared: Spitzer and Beyond
- Egami et al., Spitzer Observations
of the SCUBA/VLA Sources in the Lockman Hole: Star Formation History of
Infrared-Luminous Galaxies
- Huang et al., IRAC Imaging of the
Lockman Hole
- Ivison et al., Spitzer
Observations of MAMBO Galaxies: Weeding Out Active Nuclei in Starbursting Proto-Ellipticals
- Lagache et
al., PAHs Contribution to the Infrared Output Energy
of the Universe at z~2
- Le Floc'h
et al., Identification of Luminous Infrared Galaxies
at 1<z<2.5
- Papovich et al., The 24 micron
Source Counts in Deep Spitzer Surveys
- Rigby et al., 24 micron Properties
of X-Ray Selected AGN
- Serjeant
et al., Sub-millimeter detections of Spitzer Space
Telescope galaxy populations
- Wilson et al., Extremely Red Objects in the Lockman Hole
L'équipe
L'équipe se
repartit sur quatre pays:
USA:
- University
of Arizona
- Space
Science Institute, Boulder, Colorado
- California
Institute of Technology
-
Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics
France:
- Institut
d'Astrophysique Spatiale, Université Paris Sud, Orsay
Espagne:
- Instituto de Estructura de la Materia, CSIC, Madrid
Royaume-Uni:
- University
of Kent
- Royal
Observatory Edinburgh
- University
of Edinburgh
- University
of Oxford
L'observatoire
Spitzer est
le dernier des grands observatoires de la NASA, et observe dans l'infrarouge.
Vous pouvez obtenir toutes les informations sur Spitzer sur le site:
http://spitzer.caltech.edu
La plupart
des données discutées ici sont d'ores et déjà disponibles au public et aux
astronomes, et sont téléchargeables depuis le site de l'archive Spitzer:
http://data.spitzer.caltech.edu
Pour plus
d'informations, contacter
Dr Hervé
Dole
Institut
d'Astrophysique Spatiale
bâtiment
121, Université Paris Sud
91405 Orsay
Cedex, France
tel: 01
69 85 85 72 (en Arizona jusqu'au 29 Août au: 520 626 1798)
fax: 01
69 85 85 75
Herve.Dole@ias.u-psud.fr
Dr Emeric Le
Floc'h
Steward
Observatory
University
of Arizona
933 N Cherry
Ave
Tucson, AZ,
85721, USA
tel: 520
626 2958
elefloch@as.arizona.edu
A propos de ce
communiqué
Le texte de
ce communiqué ainsi que les images sont disponibles sur:
http://lully.as.arizona.edu/~hdole/SpitzerPR2004/
Images & légendes
6 images et légendes
illustrent ce communiqué.
Composite couleur
du champ Lockman observé en infrarouge par Spitzer. Bleu: IRAC 3.6 microns.
Vert: IRAC 4.5 microns. Rouge: IRAC 8.0 microns. Le champ de vue est un carré
de 5 minutes d'arc de coté.
Crédit:
University of Kent / University of Arizona / IAS, Orsay (H. Dole) / IRAC Team
(J. Huang)
Fichier:
LockmanHole_TC_IRAC124.jpg (250 kb)
Composite couleur
du champ Lockman observé en infrarouge par Spitzer. Bleu: IRAC 3.6 microns.
Vert: IRAC 8.0 microns. Rouge: MIPS 24 microns. Le champ de vue est un carré de
5 minutes d'arc de coté.
Crédit: H.
Dole (IAS, Orsay & Arizona) / J. Huang (SAO) / IRAC and MIPS teams.
Fichier:
LockmanHole_TC_IRAC14_MIPS24.jpg (250 kb)
Image multi longueurs
d'onde du champ Lockman, en visible et infrarouge: B, V, R, 3.6 microns
(IRAC/Spitzer), 8.0 microns (IRAC/Spitzer), 24 microns (MIPS/Spitzer).
Crédit: H.
Dole (IAS & Arizona) / MIPS Team (Arizona) / IRAC Team.
Fichier:
ERO_6wv.jpg (4.6 Mb)
Image multi longueurs
d'onde du champ Lockman, en visible et infrarouge, avec dans les images du bas
quelques galaxies indiquées. Images: B, V, R, 3.6 microns (IRAC/Spitzer), 8.0
microns (IRAC/Spitzer), 24 microns (MIPS/Spitzer). Cercle vert: galaxies détectées
dans le submillimétrique et probablement primordiales. La source du bas se
situe à un redshift de z=3.7. Cercle jaune: exemple de galaxie non détectée dans
le domaine visible.
Crédit: H.
Dole (IAS & Arizona) / MIPS Team (Arizona) / IRAC Team.
Fichier:
ERO_6wv_2panels.jpg (8.9 Mb)
Image d'une
galaxie distante dans le domaine submillimétrique et infrarouge. A gauche:
image SCUBA à 850 microns. A droite: image Spitzer IRAC à 3.6, 4.5 et 8.0
microns.
Crédit: S. Sergeant
(University of Kent).
Fichier: Scuba_Spitzer_Steve.jpg (130 kb)
Distribution
spectrale d'énergie de quelques galaxies détectées par Spitzer. La technique de
redshift photométrique (en bas, panel b) permet d'obtenir assez précisément le
redshift de la galaxie, comme le confirme la comparaison avec des redshift
spectroscopiques (haut, panel a). Les galaxies présentées ici se situent entre
z=1.1 et z=2.5 (soit environ 9.5 à 11.5 milliards d'années-lumière).
Crédit: E.
Le Floc'h (Arizona) et al.
Fichier:
elefloch2004_sed_fig2.jpg (80 kb)
- Fin -