RAMEAU
observe à 10 GHz l’éclipse partielle de Soleil du 3 octobre 2005 à Orsay.
Hervé
Dole
En préparant
les observations de l’éclipse partielle de Soleil, des astrophysiciens d’Orsay
n’ont même pas daigné regarder les prévisions météorologiques. Et pour
cause : ils allaient tester pour la première fois sur le terrain un
nouveau radiotélescope destiné à l’enseignement, insensible à la couverture
nuageuse puisqu’observant à une fréquence de 10 GHz. L’observation radio de l’éclipse
partielle était destinée à mieux connaître l’instrument (sa sensibilité, son opérabilité),
et surtout à initier le public nombreux et les étudiants à une autre approche
des observations. Récit d’une grande première pédagogique.
Vous avez dit radioastronomie ?
La radioastronomie est la branche de l'astrophysique qui s'intéresse
aux observations dans le domaine spectral des ondes radio, s’étendant traditionnellement
au delà de 1 mm de longueur d’onde. Entre 1 millimètre et 1 centimètre de
longueur d’onde, on parle de radioastronomie millimétrique, puis centimétrique,
métrique etc... L’atmosphère étant essentiellement transparente aux ondes
radio, il est possible d’observer de jour comme de nuit dans ce domaine
spectral. En radioastronomie centimétrique, la situation est encore plus
favorable : les nuages et la pluie fine affectent à peine le signal radio.
Les plus grands radiotélescopes du monde, parmi lesquels le Very Large Array
(VLA, New Mexico, USA), le Green Bank Telescope (GBT, West Virginia, USA), et les
radiotélescope de Arecibo (Porto Rico), Nançay (Cher), de Parkes et Narrabri
(Australie), observent ainsi quelle que soit la couverture nuageuse, de jour
comme de nuit. De dimensions impressionnantes (plusieurs dizaines de mètres,
plusieurs centaines parfois), ces télescopes sont équipes de récepteurs très
sensibles, grâce à une électronique spécifique refroidie à des températures cryogéniques,
de typiquement quelques Kelvins. L’intérêt scientifique d’observer en radio est
multiples : raies d’émission des atomes ou molécules (comètes, nuages moléculaires,
régions de formation d’étoiles, autres galaxies), émission continue non
thermique (activité solaire, satellites de planètes géantes, poussière dans la
Galaxie, rémanences de supernovae, pulsars, gaz des amas de galaxies) ou thermique
(étoiles, fond cosmologique micro-onde (ou 3K)).
La radioastronomie est, en raison des moyens techniques à mettre en
œuvre et de l’expertise nécessaire, réservée aux professionnels lorsqu’il
s’agit de détecter de faibles signaux dans notre Système Solaire, notre Galaxie
ou dans les galaxies lointaines. Elle n’est cependant pas inaccessible aux
amateurs : la détection en radio de l’émission du Soleil, de la Lune, de
Jupiter, et des pluies d’étoiles filantes est parfaitement accessible avec peu
de moyens. De nombreuses expériences simples sont connues, comme par exemple
celle avec deux antennes TV Yagi (antennes « râteau ») reliées à un récepteur
600MHz (0.5 mètre de longueur d’onde) qui permettent d’observer les franges d’interférence
sur le Soleil et ainsi d’en déduire son diamètre, ou encore celle de la
détection de météores avec une petite antenne et un poste FM. Enfin, certains
groupes amateurs motivés construisent et utilisent des installations dignes de
véritables observatoires, avec des antennes paraboliques de plus de 10 mètres
par exemple ; les liens entre les communautés de radioamateurs et
d’astronomes amateurs est souvent fructueuse.
A l’automne 2004, l’Université Paris-Sud 11 lançait auprès de ses
enseignants-chercheurs un appel d’offre « Bonus Qualité Pédagogique »
pour financer de nouveaux enseignements. Je voulais proposer avec quelques collègues
de l’Institut d’Astrophysique Spatiale (1) de nouveaux TP de Licence liés à un enseignement
pratique de l’astrophysique. Nous avons d’abord pensé à un système optique (télescope
et caméra CCD), puis à un système millimétrique (petite antenne et bolomètre
refroidi). Nous avons finalement convergé vers un système centimétrique, qui
cumulait à nos yeux de nombreux avantages : simplicité technique et de
maintenance, faible coût, grande capacité d’accueil des étudiants, et
utilisation possible en journée et quelles que soient les conditions
météorologiques. Ainsi était né le projet de radiotélescope à Orsay, nommé
RAMEAU : Réseau d’Antennes Micro-ondes pour l’Enseignement de
l’Astrophysique à l’Université Paris-Sud 11 (2). Le projet est financé et la
nouvelle option d’astrophysique expérimentale ouvrira en janvier 2006 (3). Elle
proposera à 20 étudiants de Licence 2 une approche expérimentale de l’optique
physique, de la thermodynamique et du traitement du signal dans un contexte
astrophysique.
RAMEAU consistera en 10 petits radiotélescopes de 80 cm de diamètre
observant à 10 GHz (soit 3 cm de longueur d’onde) et montés en duo sur 5
montures motorisées 2 axes et pilotables par ordinateur. Ils observeront le
Soleil et la Lune seulement. Une onzième antenne, d’un diamètre de 1m80, complétera
le réseau et permettra des observations de notre Galaxie et de quelques sources
extragalactiques puissantes. RAMEAU est l’exemple type de la vertueuse relation
entre enseignement supérieur et recherche : ce sont en effet les
expériences des chercheurs qui ont abouti à la définition du projet
scientifique, pour le plus grand bénéfice des étudiants à venir, nous l’espérons.
Avant de commander le matériel de RAMEAU et afin de valider par des
tests certains choix techniques, j’ai fabriqué avec mes collègues, amis (4) et
membres d’Aphélie (5) un prototype, appelé RAMEAU0 (prononcer « Rameau zéro »).
C’est avec ce radiotélescope prototype que nous avons observé l’éclipse du 3
octobre 2005. RAMEAU0 peut être considéré comme un radiotélescope amateur vu le
faible coût et le matériel employé. Le développement de RAMEAU a aussi
largement bénéficié de l’aide et des conseils d’astronomes amateurs et de
radioamateurs; en particulier, Bertrand Flouret, qui a conçu et développé ce
système de radiotélescope 10 GHz, nous a constamment aidé et conseillé tout au
long du projet.
Description du Radiotélescope RAMEAU0
RAMEAU0 est une antenne de 80cm avec un seul récepteur sensible à la
puissance totale. En d’autres termes, RAMEAU0 n’a qu’un seul pixel, mais ce
pixel unique peut mesurer la puissance totale incidente. RAMEAU0 est globalement
composé de matériel grand public de réception TV satellite, et comprend 6
éléments :
1-
L’antenne
est une parabole hors axe (« offset » disent les vendeurs) en acier
de 80 cm de diamètre ; on peut en trouver à 30 Euros.
2-
Au foyer
de la parabole se trouve le récepteur (une « tête » disent les
vendeurs), un LNB (Low Noise Block) classique à 0.3dB de réception TV satellite,
sensible aux fréquences voisines de 10 GHz, soit 3 cm de longueur d’onde ;
on en trouve à 10 Euros. Le rôle du LNB est de filtrer le signal incident pour
ne laisser passer que les fréquences autour de 10 GHz, puis de mélanger ce
signal avec un signal généré par un oscillateur local, afin d’abaisser la
fréquence jusque vers 1 GHz. En effet, il est difficile de transmettre dans des
câbles coaxiaux du signal à très haute fréquence comme 10 GHz. L’idée est
d’effectuer un changement de fréquence pour permettre une transmission du
signal plus aisée. Enfin, le LNB amplifie le signal.
3-
Une
dizaine de mètres de câble coaxial est nécessaire, et relie le LNB au
détecteur.
4-
Le
détecteur est un simple dispositif appelé SatFinder, ou Satellite Finder,
coûtant une dizaine d’Euros, et qui détecte le signal vers 1 GHz. En pratique,
il faut utiliser un modèle de SatFinder le plus simple possible, i.e. sans LEDs
de détection du signal 22kHz, car ces modèles modulent en fréquence le signal.
Les modèles les plus simples codent le signal en tension, ce qui est beaucoup plus pratique.
5-
Le
SatFinder et le LNB sont alimenté avec du courant continu, de tension entre 13
et 17 Volts, selon la polarisation choisie. L’idéal est de disposer d’une
alimentation stabilisée (coûtant environ 60 Euros), mais il est possible
d’utiliser des piles ou de petits transformateurs, même si le signal risque
d’être moins stable. Nous utilisons une alimentation 13.6V stabilisée, modèle
de base, avec un petit filtre passe-bas (bobine maison) pour empêcher le signal haute fréquence de
retourner vers l’alimentation.
6-
Il faut
ensuite fixer la parabole sur le pied de votre choix pour permettre son
pointage sur le Soleil, la Lune mais aussi sur le sol pour l’étalonnage.
Avec ce système bon marché (environ un centaine d’Euros) il est
possible de détecter simplement l’émission thermique et non thermique du Soleil.
Il faut pointer le sol et régler le gain du SatFinder pour que l’aiguille dévie
jusqu’au niveau 3 ou 4. Il faut ensuite pointer le ciel sans source connue, et
vérifier que l’aiguille ne dépasse pas la graduation 1. Enfin, l’aiguille du
SatFinder dévie significativement (au-delà de la graduation 8) quand l’antenne
est pointée sur le Soleil. Evidemment, ce système est particulièrement sensible
… aux satellites géostationnaires, qui deviennent ainsi la principale source de
bruit ! Nos premières observations dans cette configuration ont été
effectuées en Mars 2005 sur une petite monture équatoriale (Figure 1). Cependant,
le couple engendré par la taille de l’antenne (qui n’est pas très lourde) et
son encombrement rendait le maniement et le pointage extrêmement pénible. Nous
avons donc plus tard préféré la solution de la monture altazimutale.
Comment être certain de bien pointer le Soleil, et non pas un satellite
géostationnaire ? Il suffit de maintenir l’antenne fixe par rapport au sol,
et de suivre l’évolution du signal avec le temps. En effet, la rotation
terrestre engendre un mouvement apparent du Soleil : en attendant environ
10 minutes, le Soleil « sort » du lobe de l’instrument et le signal
décroît. Cette observation s’appelle un transit. S’il s’agit d’un satellite
géostationnaire, le signal restera constant, par définition.
Voici deux anecdotes sur RAMEAU0. La première : notre toute
première observation en Février 2005 s’est effectuée vers midi, et le hasard avait
fait que le Soleil se situait dans la même région du ciel que de nombreux
satellites géostationnaires. J’avais cru à une détection facile du Soleil.
Après réflexion avec mes collègues, nous avions de nouveau fait la
mesure : la source radio n’avait pas bougé dans le ciel, alors que le
Soleil n’y était plus. Nous avions donc détecté un satellite géostationnaire,
et pas le Soleil ! La deuxième : quelques semaines plus tard, nous
avons enfin détecté le Soleil, alors que la vallée était sous un brouillard
très épais. Nous avions utilisé la bonne méthode : pointage approximatif,
recherche du signal maximum, puis attente de 10 minutes. Et le signal a
disparu : c’était donc bien le Soleil qui transitait dans l’instrument.
Notre première détection radio a donc eu lieu alors que l’on ne voyait
absolument pas le Soleil en visible.
Figure 1. RAMEAU0 observe le
Soleil pour la première fois en Mars 2005. Il n’y avait pas d’acquisition sur
PC dans cette configuration, et nous utilisions une monture équatoriale, peu
pratique.
Ce système simple ne permet
cependant pas de faire des mesures précises, car il n’y a pas d’enregistrement
du signal. Il est donc nécessaire de numériser le signal sortant du SatFinder
vers un ordinateur. Deux nouveaux éléments apparaissent : le SatFinder
modifié et la carte d’acquisition.
1-
Il faut modifier
légèrement le SatFinder afin de lui ajouter une sortie électrique. Il suffit de
dessouder le « buzzer » (dispositif sonore assez énervant) et de
brancher une prise de sortie, par exemple BNC. Dans la mesure où le signal
alimentant le buzzer est en général compris entre 0 et +10 Volts, il convient
d’ajouter deux résistances de 64KOhms pour faire un pont diviseur par deux, de
sorte que le signal de sortie est compris entre 0 et +5V, ce qui est compatible
avec les cartes d’acquisition bon marché.
2-
Le signal
de sortie du SatFinder modifié doit être numérisé par une carte d’acquisition
sur un ordinateur. La carte meilleur marché est la ADC-10 fabriquée par PICO (6),
et revendue en France sur le web à partir de 80 Euros environ. Elle code sur 8
bits (i.e. sur 28=256 niveaux) des signaux d’entrée compris entre 0
et +5V. Les avantages de cette carte, outre son prix, sont 1) de proposer un
logiciel d’acquisition clé en main pour Windows, ainsi que des drivers pour
Linux et 2) de se brancher sur le port parallèle des PC, permettant ainsi
d’utiliser facilement un ordinateur portable et/ou de bureau.
Le système est maintenant complet (Figure 2), et permet de faire des
mesures. Cet aspect est essentiel, car la mesure du bruit et l’étalonnage sont
possibles, transformant un petit montage amusant en un véritable instrument de
mesure, même s’il faut garder à l’esprit que le niveau de bruit est assez élevé
et la stabilité assez mauvaise. Il importe de pouvoir quantifier toutes ces
grandeurs.
Figure 2. Première mesure avec
le système complet RAMEAU0 en Août 2005. L’acquisition s’effectue sur le PC
dans le bureau. Noter que nous avons opté pour une monture altazimutale, plus
simple d’utilisation.
Opérations
Nous avons vu qu’il était facile d’observer un transit du Soleil dans
le lobe de l’instrument. La mesure complète va comprendre également
l’étalonnage et l’estimation du bruit. Intéressons-nous d’abord au transit,
puis au facteur de dilution du lobe, et enfin à l’étalonnage et au bruit.
Commençons par un peu d’optique. Quelle est la taille du lobe de
RAMEAU0 ? Le critère classique indique que la largeur à mi-hauteur (ou
Full Width at Half Maximum, FWHM) du lobe est donnée par l/D, où l est la
longueur d’onde d’observation et D le diamètre du télescope. Pour RAMEAU, l=3cm et D=80cm. Le lobe a donc une FWHM de l’ordre de
2.15 degrés. Noter que cette valeur est proche de celle donnée par le critère
de Rayleigh et qui donne le rayon entre le maximum et le premier zéro de la
fonction d’Airy, et qui vaut 1.22 l/D. Le
Soleil ayant un diamètre apparent de l’ordre de 30 minutes d’arc, on peut
« remplir » le lobe de Rameau par 16 Soleils (le rapport des rayons
au carré).
A quel rayonnement est sensible
RAMEAU ? Dans le cas du Soleil calme, il est sensible à son émission
thermique de corps noir vers 6000K, mais également à l’émission de la couronne.
Dans le cas du Soleil actif, il est également sensible aux processus non
thermiques (éruptions et éjections par exemple). Faisons l’approximation que,
observé à 3 cm, le Soleil est un corps noir. L’étalonnage de RAMEAU s’effectue
en pointant une source de température connue, idéalement un corps noir. La
source la plus simple reste le sol, de température d’environ 300K. La nature du
sol et son ensoleillement jouent beaucoup, et il convient de faire beaucoup de
tests pour comprendre l’émission radio du sol à proximité de l’antenne (Figure
3). Il suffit donc de pointer l’antenne complètement vers le sol, et de mesurer
le signal. Pour étalonner le signal solaire, il suffit de faire une règle de
trois, sans oublier le facteur 16 car le sol remplit tout le lobe de
l’instrument, alors que le Soleil n’en remplit qu’une fraction.
Figure 3. Tentatives de pointage sur le sol, lors d’un
séjour à la station de Radioastronomie de Nançay (Cher) en Juillet 2005, par l’auteur
et Bertrand Flouret (dont l’aide est déterminante au succès du projet). A
l’issue de ce test, la fixation et l’orientation de l’antenne ont complètement
été repensées. (Photo : P. Audureau)
La Figure 4 montre le résultat d’une mesure complète. Le signal du
SatFinder (en Volts) est représenté en fonction du temps (en ms). De 800 à 1000s
(flèche bleue), l’antenne pointe le fond du ciel. D’environ 1000 à 1080s
(flèche verte), l’antenne pointe le sol et la tension mesurée est de l’ordre de
3.5V. Entre 1080 et environ 1280s (flèche noire), nous avons essayé de pointer
l’antenne proche du Soleil, sommes passés plusieurs fois dessus, et avons serré
les vis de la monture, d’où ce signal sans cohérence. Le Soleil transite dans
le lobe de l’instrument de 1280s à environ 2045s (flèches rouges), et forme une
magnifique courbe gaussienne. Un collègue est brièvement passé devant l’antenne
vers 1410s, et a provoqué une chute de signal momentanée. De 2045s à 2115s, le
fond du ciel est observé. Au-delà de 2115s, nous avons repointé le sol. De
cette courbe nous pouvons tirer plusieurs résultats.
Tout d’abord le transit du Soleil dure environ 765s. Si on prend la
largeur à mi-hauteur (FWHM), on mesure 600s (soit 10 minutes). Une source
ponctuelle de déclinaison inférieure en valeur absolue à 23 degrés parcourt sur
le ciel un angle de 2.15 degrés (notre lobe) en 516s environ. Si on ajoute 30
minutes d’arc correspondantes au diamètre approximatif du Soleil, le transit
doit durer 636s environ. L’ordre de grandeur est correct : le disque du
Soleil met environ 10 minutes pour traverser le lobe du télescope.
Ensuite, le sol de température approximée à 300K est mesuré à 3.53+/-0.01V
(vers 1050s). Le maximum du transit est mesuré à 4.90+/-0.02 V (120s de mesure
autour de 1650s). La durée du maximum est de 120s. En tenant compte du facteur
de dilution, nous obtenons pour cette mesure sur le Soleil une température de
brillance de 4.90 * 300/3.53 * 16, soit 6663 +/- 50 K. L’incertitude est
inférieure à 1%. L’accord avec la température effective du Soleil est
excellent.
Cependant, les incertitudes sont bien plus grandes que le pourcent présenté.
Il y a d’abord la température du sol qui n’est pas connue avec
exactitude : il peut y avoir par exemple des réflexions parasites du ciel,
ou une partie plus chaude qu’une autre. Il y a également la stabilité du
système. Après 2200s, alors que l’antenne pointe le sol, nous avons noté une
dérive systématique de 5% (de 3.53 à 3.35V) en seulement 5 minutes. Nous
estimons (très approximativement pour l’instant) que la précision de nos
mesures est au mieux de 10%. C’est néanmoins satisfaisant vu le matériel
employé. Nous allons poursuivre nos efforts de caractérisation du bruit, et
tenter de le minimiser, par exemple en protégeant le LNB du rayonnement solaire
et en maintenant la SatFinder à température constante, dans le but d’assurer
une meilleure stabilité.
Figure 4. Résultats de la première
mesure de RAMEAU0 en Août 2005.
Observation de l’éclipse du 3 octobre 2005
Nous avons décidé de profiter de l’éclipse
de Soleil, partielle depuis Orsay, pour effectuer notre second test sur le
ciel, et le premier hors du laboratoire. J’ai co-organisé avec Pierre Lauginie
un grand site d’observation publique sur le campus de la faculté d’Orsay. Les membres
de l’association ALCOR (7) et d’autres personnes sont venus avec leurs
télescopes optiques avec filtres. ALCOR a distribué des paires de lunettes
spéciales éclipse. Le but de l’observation avec RAMEAU0 était multiple. Nous
voulions tout d’abord informer le public et les étudiants de l’existence de
RAMEAU et de son intérêt, mais aussi proposer de suivre en direct cette démonstration
d’observation radio du phénomène, même sous les nuages. Le public est venu très
nombreux pendant la matinée. Les explications de Laurent Verstraete et de
moi-même étaient bien suivies, et d’incessantes questions affluaient. Le public était fasciné par les transits en
direct du Soleil dans le lobe de l’instrument (Figures 5, 6 et 7). Nous avons
eu quelques petits passages nuageux, juste de quoi démontrer au public
l’intérêt d’une telle observation radio sous les nuages, sans pour autant
compromettre le plaisir de chacun à observer l’éclipse dans le visible. Cette
opération a donc été un succès pédagogique, et elle nous a montré que l’astrophysique
expérimentale plaisait beaucoup au public.
Figure 5. Le matin de l’éclipse,
vers 09h30, le public arrive doucement et reste intrigué par RAMEAU0.
Figure 6. Le système
d’acquisition de RAMEAU0 : l’antenne et LNB (arrière-plan), alimentation
et SatFinder (à gauche), carte d’acquisition (cachée) et PC (à droite).
Figure 7. Vers le maximum de l’éclipse,
le public se presse derrière les télescopes optiques et derrière RAMEAU.
(Photo : N. Globus).
Nous avons mesuré une vingtaine de
transits du Soleil durant l’éclipse partielle. Quelques problèmes techniques
sont intervenus : deux coupures de courant (deux personnes se sont pris
les pieds dans les rallonges…), l’exposition du SatFinder en plein Soleil
durant la première heure et demi (découverte bien tardivement, cf. Figure 6).
Toujours avant le maximum, nous n’avons pas effectué suffisamment de mesures du
sol pour l’étalonnage (Figure 8). Vers le maximum et ensuite, tout a été
nominal : SatFinder protégé de la lumière directe du Soleil, pas de
coupure, étalonnages fréquents (tous les 2 transits). Pour une première sortie
de RAMEAU0, nous sommes plutôt satisfaits de son comportement et des
opérations.
Le résultat de nos observations se résument à la Figure 9, qui
représente en fonction du temps (en minutes, par rapport aux maximum de
l’éclipse de 11h01 locales) la température de brillance vue par le récepteur,
exprimée en Kelvins. Les courbes représentent les transits ou portions de
transit du Soleil devant l’instrument fixe, et qui a été repointé à la main à
chaque fois. Le maximum de chaque transit nous donne la puissance totale reçue
du Soleil. Pour interpréter ces données, il faut regarder l’évolution du
maximum de chaque transit. Après nettoyage des données (i.e. en enlevant les
mesures d’étalonnage, de pointage, et les 2 transits avortés pour cause de
mauvais pointage), nous avons gardé 10 transits avant t=-15 minutes avant le
maximum de l’éclipse ; pendant cette période, nous avons enregistré 5
étalonnages sur le sol, irrégulièrement espacés. Après t=-15 minutes, nous
avons enregistré 10 autres transits, avec 6 étalonnages bien réguliers. Les
données ne sont pas correctement étalonnées avant t=-15 minutes. Nous nous en
sommes rendus compte lors des mesures, car les (trop rares) pointages sur le
sol donnaient des valeurs incohérentes entre elles, variant d’un facteur deux.
Nous n’avons pas pu analyser en temps réel ce problème à cause des conditions
d’observation ; malgré la très bonne ambiance et bien que très
sympathique, l’affluence du public ne favorise pas la réflexion et la
résolution d’un tel problème ! Notre tentative d’explication à ce problème
d’étalonnage est que le SatFinder exposé au Soleil direct pendant environ 1
heure est devenu instable et a beaucoup dévié.
Figure 8. Copie d’écran à 10h31,
soit 32 minutes avant le maximum. Le logiciel PicoLog Recorder montre les
transits du Soleil depuis 09h00 (courbes gaussiennes), avec les pointages d’étalonnage
sur le sol (courbes pseudo rectangulaires).
Tout s’est stabilisé ensuite : les fréquentes mesures d’étalonnage
sont cohérentes entre elles, à des niveaux de 6%. Nous mesurons une température
de brillance de 1060 +/- 40K et 1430 +/- 50K environ 10 minutes et 4
minutes avant le maximum de l’éclipse, respectivement. Notre étalonnage en
temps n’est pas absolu et peut avoir quelques minutes de décalage ; il est
cependant troublant que notre minimum d’intensité soit mesuré une dizaine de
minutes avant le maximum de l’éclipse. Une explication possible est la présence
d’une région active sur le Soleil et qui, masquée un peu avant le maximum,
pourrait créer un « minimum radio » décalé temporairement avec le
minimum de signal optique. La suite de nos mesures est satisfaisante : la
température observée croît d’environ 12K par minute, pour atteindre 8800 +/- 40K, environ 70 minutes après
le maximum.
Entre la phase non-éclipsée et le maximum de l’éclipse, nous mesurons
une variation d’un facteur 8.3+/-0.4
à 10 GHz sur la puissance reçue. Cela correspondrait à une « obscurité radio »
de l’ordre de 88% (1-1/8.3). Par « obscurité radio » nous entendons le
rapport du flux pendant le maximum de l’éclipse avec le flux avant l’éclipse :
1- [flux pendant éclipse / flux après éclipse]. Cette valeur est à comparer à
la variation de flux visible reçu. La grandeur de l’éclipse de 0.701 à Paris,
et son obscurité de l’ordre de 60%. Dans le visible, on s’attend à un rapport
de flux mesuré de l’ordre de 1/(1-0.6)=2.5 entre la phase non-éclipsée et
éclipsée. La différence est significative entre l’obscurité visible et radio.
Une explication possible est que l’émission radio 10 GHz est dominée ce jour-là
par une petite région du Soleil ; quand celle-ci est éclipsée, le flux
solaire radio décroît d’autant, augmentant ainsi l’ « obscurité radio ».
Un autre argument est en faveur de la présence d’une région active ce
jour : notre étalonnage donne environ 8800K pour la température de
brillance du Soleil, contre environ 6000K quelques semaines plus tôt. Bertrand
Flouret, de la station de Radioastronomie de Nançay, nous a confirmé depuis
l’existence d’une petite zone active.
Enfin, nous pouvons donner une
limite inférieure sur la taille de la source d’émission radio pendant
l’éclipse. Nous avons déjà vu que la durée du transit nous renseigne sur la
taille de la source de rayonnement. Vers les instants du maximum, nous mesurons
que les transits ne durent que 1.80 minutes (figure 10), contre 10 minutes sans
éclipse. Nous en déduisons que la taille angulaire de la région émettrice est
5.5 fois plus petite que le Soleil, soit environ 6 minutes d’arc. Cette
estimation reste imprécise, car même une source ponctuelle transiterait dans le
lobe de l’instrument en environ 8.6 minutes. Notre transit au maximum de
l’éclipse très court de 1.80 minutes n’est donc pas un vrai transit, il
correspond probablement à la partie supérieure d’un transit ; la partie
inférieure n’est pas détectée probablement par manque de sensibilité.
Figure 9. Résultat final et étalonné de l’observation
de l’éclipse partielle avec RAMEAU0. Des problèmes d’étalonnage durant la
première phase de l’éclipse rendent les résultats non pertinents. En revanche,
du maximum jusqu’à la fin de l’éclipse, l’étalonnage régulier a permis des
mesures de qualité, montrant bien la variation de puissance reçue au sol.
Figure 10. Zoom sur le transit
11, le plus faible, proche du maximum de l’éclipse. Un ajustement gaussien
(tiret) est effectué, et donne la valeur de la largeur à mi-hauteur.
Conclusions
RAMEAU0 est un radiotélescope à faible coût qui observe le Soleil à 10
GHz (soit 3cm). Après quelques tests préliminaires, nous avons observé le 3
octobre 2005 l’éclipse de Soleil, partielle à Orsay. Malgré quelques problèmes
d’étalonnage lors de la première partie de l’éclipse, les mesures ont bien
fonctionné ensuite grâce à l’électronique qui s’est stabilisée et grâce aux
mesures d’étalonnage sur le sol plus fréquentes (tous les 1/4h environ). Nous
mesurons sur le Soleil un facteur 7 de variation dans le flux reçu entre le
maximum de l’éclipse et après l’éclipse, et mettons en évidence la variation de
taille angulaire de la source émettrice. Nous déduisons aussi la présence d’une
région active sur le Soleil au moment de l’éclipse. Cette observation, très
simple techniquement, montre qu’il est possible et facile d’obtenir des résultats
quantitatifs. La construction d’un tel radiotélescope, la prise de mesures et
l’analyse des résultats peuvent constituer des projets scientifiques et
pédagogiques intéressants à tous les niveaux : du collège au Doctorat. Ainsi
l’Université Paris-Sud 11 proposera en 2006 des travaux pratiques
d’Astrophysique Expérimentale en Licence, avec dix radiotélescopes similaires à
RAMEAU0. D’autres structures, en particulier les associations d’astronomie
amateur, peuvent aussi facilement tenter l’expérience des observations radio à
10 GHz.
Notes & Liens
(1) Institut
d’Astrophysique Spatiale http://www.ias.u-psud.fr
(2) Radiotélescope
RAMEAU http://lully.as.arizona.edu/~hdole/enseignement/rameau
(3) Astrophysique
Expérimentale http://www.lmd.u-psud.fr/licence/sts/Modules/Phys243.html
(4) Site de Bertrand
Flouret http://astrosurf.com/radioastro/
(5) Aphélie http://www.astrosurf.org/aphelie
(6) Cartes
d’acquisition Pico http://www.picotech.com/
(7) Association ALCOR http://astro.alcor.orsay.free.fr
Hervé Dole est
astrophysicien, Maître de Conférences à l’Institut d’Astrophysique Spatiale,
Université Paris-Sud 11. Sauf mention contraire, les photos sont de l’auteur. L’auteur
remercie chaleureusement Pierre Lauginie, Laurent Verstraete et Vincent Ezratti
pour l’organisation réussie des observations publiques de l’éclipse. Il
remercie également ses collègues, personnels de l’Université et amis impliqués
dans RAMEAU et qui oeuvrent pour son succès.