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De la glace interstellaire sous rayonnements cosmiques lourds

23/06/2015 - 10:00

Une équipe pluridisciplinaire rassemblant des chercheurs de l’IAS, du CIMAP, l’IPNO, le GANIL, et l’Université Catholique PUC de Rio de Janeiro a caractérisé en laboratoire l’effet des rayons cosmiques lourds sur la structure et la pulvérisation de glace d’eau dans des environnements interstellaire et planétaire. Ces expériences permettent d’étudier les changements de phase induits par des ions lourds, similaires aux rayons cosmiques galactiques. Elles viennent compléter et étendre les connaissances déjà obtenues à plus basses énergies. En plus des changements de phase, cette étude révèle l’importance des taux d’émission de molécules d’eau vers le vide par les ions lourds galactiques, ou pulvérisation, des glaces interstellaires présentes dans les nuages interstellaires denses et froids.

 

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                               Fig1: A gauche, modèle de glace d’eau poreuse avant irradiation. A droite, modèle de glace d’eau après compaction par le rayonnement cosmique
                               et pulvérisation des molécules en surface.
 
Les simulations et mesures en laboratoire des processus induits par les rayonnements observés dans l’espace, permettent de contraindre leur importance. L’objectif de ces études est de fournir des données sur l’évolution de la matière interstellaire, de comprendre son évolution ultérieure et d’apporter des contraintes pour les  modélisateurs des milieux astrophysiques. 
  
 
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                                 Fig2: Aperçu du dispositif expérimental mis en œuvre pour étudier au moyen d’un spectromètre infrarouge (FTIR)
                                 l’évolution de la structure d’échantillons de glace bombardés par des ions lourds délivrés par les cyclotrons du GANIL.
 
 
Pour ces simulations expérimentales, de la vapeur d’eau est condensée sous forme d’une fine couche de glace sur un substrat maintenu à une température à laquelle la glace produite est cristalline ou amorphe (à très basse température, la glace formée par condensation est désordonnée et poreuse). Les effets de l’irradiation par les ions lourds de l’accélérateur du GANIL sont alors étudiés en fonction de la température par spectroscopie infrarouge, qui présente le double avantage de permettre de suivre l’évolution structurale de la glace et de déterminer le nombre de molécules réémises vers le vide. L’ensemble des opérations est effectué in-situ dans un dispositif mis au point par le CIMAP.
 
Sous irradiation par des ions lourds, quel que soit l’état initial de la glace, cristallin ou amorphe et poreux, l’irradiation conduit vers un même état : une glace amorphe compacte, la compaction étant cependant trois fois plus efficace que l’amorphisation de la phase cristalline. Que ce soit les mécanismes de formation de la glace d’eau en surface des grains interstellaires, l’irradiation UV ou l’irradiation par les rayons cosmiques, la structure des glaces dans l’espace évolue vers une phase compacte, qui permet d’expliquer le fait qu’aucune glace amorphe poreuse n'ait été observée jusqu'à présent.
 
Ces expériences montrent que parmi les particules présentes dans le rayonnement galactique, les ions lourds de très grande énergie, bien que minoritaires en abondance, ont un impact majeur du fait de leur très grande efficacité. Les taux de pulvérisation élevés sont, en particulier pour la glace d’eau, importants par rapport à d’autres mécanismes de réinjection comme la photodésorption par les photons ultraviolets présents dans l’espace. Ils fournissent un mécanisme de réinjection dans la phase gazeuse efficace d’une partie des manteaux de glace présents dans les nuages moléculaires.
 
Cette recherche expérimentale est décrite dans une série d‘articles, dont le dernier vient d’être publié dans la revue Astronomy & Astrophysics.
 
    
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Fig3: En haut : évolution à basse température (13.6K) du spectre infrarouge d’un film de glace cristallin irradié avec des ions de nickel à une énergie de 46 MeV. La bande d’absorption correspond à une vibration de la liaison entre l’atome d’oxygène et d’hydrogène dans la molécule d’eau condensée sous forme de glace. Le spectre, très structuré au départ de par la phase cristalline, s’élargit et perd cette structure sous l’effet des ions qui rendent amorphe la structure de la glace.
Cette évolution est suivie au cours de l’irradiation dans le panneau du bas par le changement d’intensité de cette absorption en fonction du nombre d’ions incident par unité de surface. On observe dans un premier temps une baisse d’intensité associée à l’amorphisation de la glace (qui suit la loi en pointillé rouge), puis en fin d’irradiation, une baisse liée à la prévalence de la pulvérisation de la glace, mécanisme qui éjecte des molécules d’eau sous forme gazeuse.
 
 
Contacts:
Emmanuel Dartois, IAS, CNRS/Université Paris-Sud, Orsay, France. emmanuel.dartois@ias.u-psud.fr
Philippe Boduch et Hermann Rothard, Centre de Recherche sur les Ions, les Matériaux et la Photonique, CEA/CNRS/ENSICAEN/Université́ de Caen-Basse Normandie,  Caen, France. boduch@ganil.fr et rothard@ganil.fr
 
Publications associées : 
       Heavy ion irradiation of crystalline water ice, cosmic ray amorphisation cross-section and sputtering yield, E. Dartois, B. Augé, P. Boduch, R. Brunetto, M. Chabot, A. Domaracka, J.J. Ding, O. Kamalou, X.Y. Lv, H. Rothard, E.F. da Silveira5 and J.C. Thomas4, Astronomy & Astrophysics 576 (2015) A125, doi: 10.1051/0004-6361/201425415
       « Compaction of porous ices rich in water by swift heavy ions », C.F. Mejía, A.L.F. de Barros, E. Seperuelo Duarte, E.F. da Silveira, E. Dartois, A. Domaracka, H. Rothard and P. Boduch, Icarus 250 (2015) 222 – 229, doi: 10.1016/j.icarus.2014.12.002
« Swift heavy ion irradiation of water ice at MeV to GeV energies, approaching true cosmic ray compaction », E. Dartois, J.J. Ding, A.L.F. de Barros, P. Boduch, R. Brunetto, M. Chabot, A. Domaracka, M. Godard, X.Y. Lv, C.F. Mejia Guaman, T. Pino, H. Rothard, E.F. da Silveira and J.C. Thomas, Astronomy & Astrophysics 557 (2013) A97, doi: 10.1051/0004-6361/201321636
 
Notes: 
Les résultats ont été obtenus grâce au montage de l’expérience sur les lignes Irrsud, SME et LISE du GANIL. Ce travail a bénéficié du soutien des projets ANR IGLIAS, ainsi que de l'INSU, de l'INP, du CNRS et de l'Université de Caen, de l'Université Paris-Sud, et de l’Université Catholique PUC de Rio de Janeiro.

 

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