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Chiral-MICMOC: à l’origine de l’asymétrie des molécules du vivant sur Terre ?

03/06/2014 - 00:00

Les organismes vivants utilisent des acides aminés chiraux présentant uniquement la forme énantiomérique L pour la fabrication des protéines, une propriété connue sous le nom d’homochiralité. L’origine de cette asymétrie est à ce jour encore mal connue mais il est généralement admis un processus en deux étapes : tout d’abord l’apparition de faibles excès énantiomériques (e.e.s) dans un matériau organique chiral, suivi par un mécanisme d’amplification menant à la sélection complète d’un seul des deux énantiomères.

 

L’une des hypothèses privilégiées pour expliquer l’apparition des e.e.s initiaux provient de l’interaction de lumière circulairement polarisée (CPL) avec la matière, introduisant ainsi l’asymétrie initiale. Faisant suite aux résultats obtenus en 2011 sur un acide aminé (l’alanine), l’expérience interdisciplinaire Chiral MICMOC (Matière Interstellaire et Cométaire, Molécules Organiques Complexes) de l’équipe « Astrochimie et Origines » de l’IAS a obtenu de nouveaux résultats sur cette problématique en élargissant la mesure à cinq acides aminés qui montrent un comportement identique au rayonnement UV circulairement polarisé, ce qui permet ainsi de préciser un possible scénario astrophysique à l’origine de l’asymétrie biomoléculaire sur la Terre primitive.

Depuis 2003, l’équipe « Astrochimie et Origines » a mis en œuvre une expérience de simulation de photochimie sur des analogues de glaces interstellaires avec la particularité d’utiliser, pour effectuer cette photochimie, un faisceau de lumière « asymétrique », c’est-à-dire polarisée circulairement, fournie par un rayonnement synchrotron. Un premier résultat avait permis d’obtenir une sélectivité énantiomérique sur un acide aminé protéique, l’alanine, sur la ligne DESIRS du synchrotron SOLEIL (Figure 1). Grâce aux performances de cette ligne, fournies par Laurent Nahon et son équipe ainsi qu’aux méthodes analytiques de chromatographie en phase gazeuse multidimensionnelle couplées à la spectrométrie de masse (GCxGC-TOFMS) installées et calibrées par Uwe Meierhenrich et son équipe à l’Université de Nice (ICN, Nice), de nouveaux résultats marquants ont été obtenus.

 

En effet, des excès énantiomériques de même signe (Figure 2) ont été mesurés sur cinq acides aminés : α-alanine, valine (protéiques) ; acide 2,3-diaminopropionic, acide 2-aminobutyric et norvaline (non-protéiques). Ces excès sont toujours faibles (inférieurs à 2%) mais comparables à ceux observés dans certaines météorites primitives et permettent de renforcer le scénario astrophysique menant à la source d’asymétrie nécessaire à la chimie prébiotique pour déclencher l’apparition de l’homochiralité, une caractéristique fondamentale du vivant. Le fait que ces cinq acides aminés se comportent de façon identique (excès de même signe) est par ailleurs fondamental pour la validité de l’hypothèse physique à la base du scénario : l’irradiation par UV-CPL de glaces inter/circumstellaires menant non seulement à la formation d’acides aminés mais également à un certain degré d’enrichissement énantiomérique.

 

Concernant l’alanine, des expériences plus poussées ont été réalisées dans lesquelles l’hélicité (polarisation gauche et droite) ainsi que la longueur d’onde (6.6 eV et 10.2 eV) des photons utilisés ont été changées. Un lien direct a été observé entre ces paramètres et le signe des excès mesurés, suggérant un effet de dichroïsme circulaire à l’origine du phénomène. De plus, des excès de même signe ont été obtenus en irradiant uniquement les glaces ou uniquement le résidu organique obtenu à température ambiante. Ce résultat indique tout d’abord la formation d’espèces chirales dans la phase glacée, précurseurs des acides aminés contenus dans le résidu organique final, espèces qui pourraient être présentes dans les nuages moléculaires et se retrouver par la suite dans les corps parents des météorites.

L’application astrophysique repose sur un scénario plausible: d’une part les analogues de glaces utilisés en laboratoire sont de composition chimique proches de celle des glaces interstellaires/circumstellaires. D’autre part, des sources d’UV-CPL intenses et donnant jusqu’à 22% de taux de polarisation circulaire ont été mises en évidence dans des régions de formation d’étoiles massives dans la nébuleuse d’Orion et NGC 6334. L’extension spatiale d’une seule hélicité (droite ou gauche) est largement supérieure (d’un facteur supérieur à 100) aux dimensions d’un « système solaire » en formation, ce qui permet d’assurer effectivement un excès énantiomérique de même forme sur des molécules organiques chirales, L dans le cas des acides aminés, sur l’ensemble de notre Système Solaire.

 

Ce résultat d’une expérience d’astrophysique de laboratoire pourrait donc valider l’hypothèse ancienne selon laquelle la sélection énantiomérique des molécules du « vivant », constatée en premier par Pasteur en 1848, procède d’une origine physique déterministe, par ailleurs discutée par Pierre Curie en 1897.

 

Finalement, une des implications indirectes de ce résultat suggère que la nébuleuse solaire est vraisemblablement née dans une région d’étoiles massives. Cette idée est envisagée depuis trente ans et confortée par la détection de radioactivités éteintes dans les météorites primitives, conséquence de l’explosion d’étoiles massives en supernovae.

 

Cette expérience se poursuit en prenant maintenant pour cible d’autres molécules prébiotiques importantes dont l’homochiralité (D) biologique est à l’opposé de celle des acides aminés (L) : les sucres.

 

Modica, P. et al, ApJ 788, 79 (2014) Pour tout renseignement complémentaire : Louis Le Sergeant d’Hendecourt, ldh @ ias.u-psud.fr

 


Figure 1 : Montage Chiral-MICMOC sur la ligne DESIRS à SOLEIL. Le CNES a largement soutenu cette expérience en raison de son implication possible dans l’interprétation des résultats attendus de l’expérience COSAC sur Rosetta.

 


Figure 2 : Séparation des deux énantiomères (L et D) des cinq acides aminés en GCxGC – TOFMS pour les trois polarisations utilisées (de haut en bas : circulaire gauche, non polarisée et circulaire droite).
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