L'éclipse partielle observée à 10 GHz avec RAMEAU depuis Orsay


Hervé Dole1, Sandrine Pascal2, Aurélie Lenoir2


Des étudiants de deuxième année de Licence ont observé, à travers les nuages, l'éclipse de Soleil du 29 Mars 2006. Partielle à Orsay, cette éclipse a permis le premier test grandeur nature du nouvel observatoire radio du campus.


Depuis Février 2006, la Faculté des Sciences à Orsay dispose d'un observatoire radio dédié à l'enseignement, appellé RAMEAU3 pour Réseau d'Antennes Micro-onde pour l'Enseignement de l'Astrophysique à l'Université Paris-Sud 11. Composé de 10 antennes paraboliques TV de 80cm de diamètre montées en duo sur des montures motorisées 2 axes et pilotées à distance, RAMEAU4,5 permet aux étudiants de deuxième année de Licence de Physique d'observer le ciel à une fréquence de 10 GHz, soit 3 cm de longueur d'onde. La faible sensibilité actuelle des radiotélescopes, à cause du matériel grand public utilisé, ne permet de détecter que le Soleil (rayonnement thermique et non-thermique), et probablement la Lune. L'un des buts de l'option d'introduction à l'astrophysique (Phys249) est la mesure de la température de brillance du Soleil, ce qui permet d'aborder les notions de physique comme l'optique physique et le corps noir, ainsi que des aspects de détection à haute fréquence et de traitement du signal élémentaire (avec des logiciels libres comme OpenOffice), tout en effectuant des observations diurnes sans aucune contrainte météorologique.



Les 10 antennes composant le réseau de radiotélescopes 10 GHz RAMEAU à Orsay. Photo H. Dole


L'éclipse partielle de Soleil du 29 Mars 2006 a été l'occasion sur le campus d'une grande observation publique avec des télescopes optiques, des solarscopes et des lunettes “spéciale éclipse” généreusement distribuées par l'association ALCOR. Nous avons organisé des “portes ouvertes RAMEAU”, où le public a pu visiter la salle de contrôle et suivre en direct le signal des radiotélescopes. Enfin, l'éclipse totale en Turquie a été diffusée en temps réel sur grand écran grâce à la retransmission des images sur le web.


A Orsay, la séquence de l'éclipse partielle était la suivante (heure légale): début: 11h39 (11.65h); maximum: 12h32 (12.53h); fin: 13h26 (13.43h). Sur les dix antennes de RAMEAU, seules quatre ont été utilisées, car leur pilotage est encore manuel (transit dans l'instrument), et les étudiants ont piloté trois antennes. Cependant, il n'y avait eu que deux séances d'option avant l'éclipse, de sorte que les étudiants n'avaient pas encore beaucoup d'expérience avec RAMEAU pour être complètement autonomes, notamment pour l'étalonnage en température sur le sol tous les quarts d'heure environ4,5. Pendant le déroulement des observations, des dizaines de personnes se sont pressées dans la salle de contrôle pour “observer” quelque chose du phénomène alors que la couverture nuageuse devenait totale, ce qui a donné lieu à de nombreuses discussions et explications. De même que pour l'éclipse d'octobre 2005, il n'est pas très aisé de prendre des mesures tout en assurant une animation scientifique ! Ces conditions expliquent en partie les lacunes dans les données. De même, certains problèmes d'acquisition sont apparus, et n'ont pas été résolus instantanément: dans un cas le logiciel s'est interrompu et les données n'ont pas pu être récupérées, dans un autre cas le logiciel a cessé de fonctionner nominalement, rendant inopérante une antenne.


Le graphe représente la température de brillance mesurée à 10 GHz en fonction du temps, pour les antennes dont les données semblent cohérentes. Les incertitudes de mesure (hors effets systématiques et variations temporelles plus longues que 30 minutes) varient de 5 à 20% selon l'antenne, avec une médiane de 10%; cette dernière valeur a été représentée.




Variation de l'intensité à 10 GHz (exprimée en Kelvins) en fonction du temps (en heure locale) durant l'éclipse observée par 4 des 10 antennes de RAMEAU. La couleur des symboles identifie les différentes antennes utilisées: losange (10), étoile (7), cercle (3) et carré (5). Les barres d'erreur varient selon les antennes de 5 à 20%, avec une médiane de 10% (valeur représentée). Les 3 barres grises verticales représentent respectivement le début, le maximum et la fin de l'éclipse partielle.


Le problème des réponses différentes des antennes apparaît clairement, par exemple entre 13 et 14h, où les antennes 3 (cercle) et 5 (carré) donnent des mesures systématiquement différentes de 20%, juste compatibles avec les barres d'erreur; les variations relatives avec le temps semblent cependant cohérentes entre elles, puisque les deux signaux mesurés augmentent avec la même pente. L'origine de ces différences n'est pas encore bien comprise, puisque la technique d'étalonnage sur le sol à 300K est censée les éliminer. Il est probable que la qualité disparate des détecteurs, des SatFinders bon marché, dont la dynamique varie selon le modèle d'un facteur 2, ait un effet dominant. Les mesures hors éclipse (avant 11.65h et après 13.43h) montrent également une forte dispersion des valeurs de l'ordre de 15% (de 6100 à 6900K).


En considérant les données de l'antenne 3 (cercle), on remarque que l'augmentation de signal suivant le maximum de l'éclipse est régulière et d'amplitude 20% (de 5600 à 6800K). L'amplitude est plus faible que prévue puisque l'éclipse provoquait une obstruction géométrique d'environ 32%. Compte-tenu de nos incertitudes de mesure et du fait que l'émission radio centimétrique n'a pas complètement la même origine que l'émission visible, nous estimons que cette différence n'est pas significative, et que RAMEAU03 a correctement observé la fin de l'éclipse. La première partie de l'éclipse est intriguante, puisque le signal mesuré est compatible avec un signal constant, et incompatible avec la décroissance de signal attendue lors du début de l'éclipse. Il s'agit peut-être de transits manqués.


En conclusion, malgré les conditions une peu difficiles d'observation, à savoir la présence d'un nombreux public (certes très sympathique !), des étudiants peu expérimentés et une préparation inexistante (radiotélescopes fraîchement installés et pas caractérisés individuellement, et un modèle de pointage approximatif établi juste la veille !), la deuxième partie de l'éclipse partielle a bien été observée par une de nos antennes, alors que le ciel était complètement couvert. Il apparaît cependant que les antennes donnent des mesures très dispersées entre elles, et que les détecteurs SatFinders en sont probablement la cause. Notons enfin que les radiotélescopes RAMEAU ont une sensibilité moindre que notre prototype RAMEAU0, certainement à cause des 40 m de câble coaxial utilisés pour ramener le signal des radiotélescopes à la salle de contrôle. Nous envisageons dans l'avenir d'utiliser des amplificateurs, tout en étudiant la possibilité de fabriquer des détecteurs plus stables et sensibles, en nous inspirant notamment de certains travaux de membres de la commission de radioastronomie de la SAF.


Merci à Pierre Lauginie, Vincent Ezratti, Nicolas Bavouzet, les étudiants d'ALCOR6 et de l'option d'Astrophysique7 Phys249 pour le succès de cette manifestation.



1 Maître de Conférences à l'Institut d'Astrophysique Spatiale, Université Paris-Sud 11 et CNRS, Orsay

2 Etudiants de L2 en option d'Astrophysique Phys249 à la Faculté des Sciences d'Orsay

3 http://www.ias.u-psud.fr/pperso/hdole/rameau ou http://lully.as.arizona.edu/~hdole/enseignement/rameau

4 Description détaillée dans Astronomie Magazine, numéro 77, Mars 2006, pages 16 à 22

5 Autres détails sur le site de Bertrand Flouret: http://www.astrosurf.com/radioastro

6 Association ALCOR: http://astrosurf.com/alcororsay

7 En particulier S. Benkali, M. Brasero, G. Devauton, P. Faye, T. Lenglin